Dans un article publié dans Les Echos du 13 février 2024, Gilbert Cette trouve le projet de "désmicardisation de la France" très ambitieux ! Selon lui, le SMIC augmente trop et trop vite pour qu'il ne soit pas anormal que les branches affichent des salaires minimaux inférieurs, elles "n'ont que 45 jours pour se mettre en conformité" depuis la loi pouvoir d'achat de 2022. Le nombre de salariés payés au SMIC ne cesse de grandir: 12% au 1er janvier 2021, 17,3% au 1er janvier 2023. Gilbert Cette stigmatise la revendication de syndicats d'indexation de tous les salaires comme contraire à la vocation de ces mêmes syndicats de participer aux négociations collectives qui sont parvenues à ramener la proportion de salariés au SMIC de 16,3% en 2005 à 12,9% en 2007. Avec "l'empilement de multiples dispositifs dégressifs de baisse des contributions patronales ciblées sur les bas salaires et le soutien aux bas revenus comme la prime d'activité ou les aides au logement" l'augmentation de 100€ d'un salarié au SMIC coûte 483€. La "démonstration" absente de la chronique est disponible sur Contrepoints, le journal libéral de référence en France. Le challenge de la désmicardisation, selon Gilbert Cette, consiste donc à faire accepter la mise à plat des aides qui implique des perdants au sein d'une population à bas revenus.
La smicardisation du monde du travail vient directement des mesures d'exonération des cotisations patronales mises en place dans la dernière décennies du 20ème siècle pour servir les politiques de l'emploi poursuivis par tous les gouvernements depuis cette époque, ainsi que des compléments fiscaux négatifs versés sous conditions de ressources: prime d'activité, APL.
La masse salariale est stable en France depuis le milieu des années 1980 et représente les 2/3 du PIB. Mais la moitié des Français n'en perçoit pas une part suffisante pour bénéficier du niveau de revenus qui lui permettrait de disposer du niveau de vie que devrait lui donner la production à laquelle il participe. Le problème des salaires est donc un problème de répartition des richesses plutôt que de niveau des richesses. L'exploitation du travail vient du fait que le profit consacré à la maintenance et au développement de l'outil de production est accaparé par les propriétaires du capital social (réunis en société d'actionnaires) et que ces derniers maîtrisent la distribution de la masse salariale et l'usage des profits.
La mise à plat demandée par les tenants de la politique et les propriétaires des entreprises ne doit pas s'arrêter à la redistribution, mais doit toucher à la distribution primaire de la valeur ajoutée.
Le salaire
Le salaire brut comprends le salaire net et les cotisations. Ces dernières sont dites salariales - versées et au moment de la perception du salaire - et patronales - versées tous les quatre mois pour permettre à l'entreprise de disposer de plus de trésorerie.
Prenant ces appellations au pied de la lettre, le Medef a obtenu l'exonération des cotisations dites patronales malgré les contestations syndicales qui en déploraient déjà au début des années 1990 le caractère de trappe à SMIC. "La réduction des cotisations patronales de sécurité sociale sur les bas salaires a démarré en 1993." [Alternatives économiques du 1er janvier 2006].
Taux de cotisation par rapport à la masse salariale pour le premier et le dernier décile, ainsi que pou le décile médian [Alternatives économiques du 11 février 2023]. |
Le taux de cotisation n'est pas le même pour tous les salaires. Au SMIC, les salariés ne cotisent pas normalement depuis les années 1990. Ils n'ont pas assez pour vivre correctement et l'Etat doit compléter leur revenu (prime d'activité, APL) ce qui ajoute à son déficit. L'augmentation des salaires immédiatement supérieurs coûte d'autant plus cher que le SMIC est proche !
L'Etat paie une grosse partie des salaires des bas salaires à la place des entreprises, la masse salariale est restée stable, comme les profits (valeur ajoutée - salaires). Aujourd'hui, les entreprises sont sous perfusion publique à hauteur de 200Md€. Et le SMIC constitue un trou noir pour les salaires comme l'avaient prédit les syndicats.
Le profit
La différence entre la valeur-ajoutée et l'ensemble des salaires constitue le profit qui sert à réparer l'outil de travail, rembourser les dettes et développer l'entreprise avec le report à nouveau qui aliment les fonds propres. Ce qui reste constitue le bénéfice qui permet de gratifier les actionnaires (dividendes) et les salariés (primes).
Actuellement à la main de la société d'actionnaires, l'usage du profit est bien souvent mis au service des intérêts immédiats des actionnaires de l'entreprise ou de ceux des entreprises "donneur-d 'ordre". Si en moyenne les entreprises distribuent les 2/3 de leur valeur ajoutée en salaires (rapport Cotis), la moitié d'entre elles en distribuent près des 3/4, et un quart d'entre elles en distribuent moins de 45% (étude micro-économique des résultats du rapport Cotis).
La mutualisation
La stabilité du partage de la valeur ajoutée en salaires et profits cache une grande variabilité entre les entreprises selon leur taille, les grande entreprises donneur d'ordre peuvent mettre en concurrence leurs sous-traitants qui doivent exercer une pression sur les salaires pour gagner les marchés.
Part de la rémunération salariale par taille d’entreprises Mais les secteurs d'activité ne contribuent pas de la même façon aux salaires en fonction du type de l'activité des entreprises. |
Part de la rémunération salariale dans la valeur ajoutée par secteur d’activité |
Pour éliminer les effets de taille et de type d'activité, il n'y a qu'une méthode : mutualiser la distribution des salaires par la cotisation des 2/3 de la valeur ajoutée au niveau de chaque entreprise. Le "coût du travail" devient le même pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille ou leur activité. Le marché du travail disparaît, le niveau du salaire n'est plus à la main de l'entreprise et peut être fixé pour rémunérer la qualification de la personne et l'expérience qu'elle acquiert au fil de sa carrière.