11 févr. 2024

Le salaire à vie de Bernard Friot : synthèse et critique.


Arte - Les idées largesEt si on était payé à ne rien faire ?

L'introduction de Laura Raim à cette belle synthèse sur le salaire à vie (ou salaire à la qualification personnelle) pointe la première difficulté du concept de salaire à vie de Bernard Friot dans son émission (Les idées larges) : comment donner envie de travailler, c'est-à-dire de dépasser la simple réponse aux sollicitations qu'est l'activité, juste réagir à l'environnement, et de mettre son activité au service d'un projet commun, produire la richesse distribuée à chacun.

Emanciper le travail
La Dispute
Bernard Friot est un sociologue économiste qui se dit communiste, en ce sens qu'il cherche à libérer le travail de l'emploi qui l'asservit à produire du profit assigné à "la création de valeur pour l'actionnaire". L'originalité de sa pensée tient au fait qu'elle voit dans les institutions du salaire (salaire à la qualification du poste dans le privé et non plus du salaire à l'acte, à la qualification de la personne dans la fonction publique, la retraite comme salaire continué et les cotisations) un déjà-là communiste.

Après le passage du salaire à l'acte au salaire à la qualification du poste à la fin du 19ème siècle, le passage du salaire à qualification de la personne et la mise en place de la retraite et de la cotisation pour couvrir les risques de la vie au sortir de la deuxième guerre mondiale, un certain retour au salaire à l'acte (au mérite, c'est-à-dire à l'appréciation que fait le patron de l'acte), le monde d'aujourd'hui nous ramène au 19ème siècle.

Le salaire à vie rémunère chaque adulte à partir de 18 ans jusqu'à la mort en fonction de sa qualification entre 1700€ et 5000€. Plus que sur le niveau, le salaire à vie diffère du revenu de base sur sa nature : le revenu de base constitue un simple filet de sécurité qui ne libère pas le travail de l'emploi. Mais Bernard Friot laisse en suspend deux questions :

  • Comment motiver le citoyen à produire la quantité de travail nécessaire pour produire ?

  • Comment mettre en œuvre la démocratie qui permette à chacun de participer aux décisions en matière de production ?

Une institution salariale a disparu avec l'individualisation des salaires réalisée au cours des deux dernières décennies du 20ème siècle : le déroulement de carrière. La promesse de doubler son salaire initial avec l'expérience d'une carrière complète de 18 à 60 ans constitue une motivation susceptible d'aider chacun à prendre ses responsabilités dans le devoir de production. Il est vrai que le capitalisme n'a pas favorisé l'émergence d'un esprit de responsabilité personnelle pour la production.

Et pour que ce projet n'engage pas toute la société dans le risque inhérent à chaque décision, il doit être conçu de façon la plus décentralisée et locale possible. Chaque unité de production doit alimenter les salaires au niveau de la part moyenne des contributions au salaires (2/3 depuis quarante ans) et conserver un tiers de sa valeur ajoutée en profit pour réparer l'usure de l'outil de production rembourser les dettes contractées dans la constitution de ses ressources, ainsi que pour conforter et développer ses fonds propres. Les gratifications (dividendes des actionnaires et primes des salariés) sont distribuées selon le bénéfice produit.

Le droit au salaire des repères revendicatifs de la CGT et la création d'un statut juridique de l'entreprise distinct de celui de la société d'actionnaires proposée par l'Ugict-CGT dans ses trois derniers congrès donnent une idée du possible.