2 juil. 2023

Le commun des salaires, des dividendes et des primes, le financement de la santé et de l’État

Avec l’inflation, les revenus ne soutiennent plus le niveau de vie qu’ils étaient censés offrir. Faut-il réindexer les salaires sur les prix ?

Le surcoût entraînés par l’augmentation des prix passe dans le chiffre d’affaires des entreprises, donc dans la valeur ajoutée de l’une ou l’autre des entreprises, donc dans le PIB.

Depuis quarante ans, le PIB est distribué aux deux tiers en salaires et un tiers en profits utilisés par les entreprises pour réparer leur outil productif, rembourser leurs dettes, conforter leurs fonds propres et gratifier leurs actionnaires (dividendes) et leurs salariés (primes).

Établie par Jean-Philippe Cotis et sa commission (Cotis, 2009), cette réalité est celle de la moitié des entreprises selon une analyse microéconomique réalisée à la suite de la publication du rapport Cotis (Barbesol, Givord, & Quantin, 2009). Un quart des autres entreprises consacrent plus de 73% aux salaires et un quart moins de 44%.

Les salaires produits par le PIB 2022

L’économie française a produit un PIB de 2 639 Md€ en 2022. Cela lui permet de distribuer 1 759 Md€ en salaires et de garder 880 Md€ pour conforter et développer l’outil de production et distribuer des gratifications aux actionnaires (dividendes proportionnels au portefeuille) et aux membres du collectif de travail (primes selon la contribution personnelle évaluée par l’équipe RH et l’encadrement et selon les négociations annuelles).

Actuellement, ces 1 759 Md€ bénéficie aux salariés en emploi de façon très inégalitaires avec des valeurs (niveau de salaire, temps de travail, etc.) fixées par le marché de l’emploi encadré par le code du travail (SMIC, heures supplémentaires, etc.). 

Le poids du marché entraîne une forte inégalité. La plupart des citoyens admet cette inégalité quand elle est liée à la qualification et à l’expérience. La plupart admet aussi des gratifications pour implication, prise de responsabilité, fonctions particulières, etc. Les effets de marché ont été accentués par le fait que ces gratifications ne sont pas restées marginales dans le revenu de chacun : le salaire s’efface derrière le « partage de la valeur ».

Pour évaluer le résultat possible des salaires selon la qualification (5 niveaux valorisés par un gap de 20% du niveau inférieur) et l’expérience (une carrière de 42 ans qui double le salaire initial) définissons ces niveaux et ce qui permet de développer l'expérience et ce qui l'interdit :

  • Les niveaux - 1. sans qualification; 2. métier ou bac; 3. cadre ou licence; 4. cadre supérieur ou master; 5. directeur ou docteur;
  • L'expérience est développée - en formation; en emploi salarié ou indépendant;
  • L'expérience est bloquée sans emploi.

À partir de 60 ans, chacun est libre de continuer à avoir un emploi, son salaire est bloqué au salaire de remplacement, ici 75% et peut toujours recevoir des gratifications en plus.

Sans salaire minimum, la distribution serait la suivante :

Figure 1 - Distribution de la masse salariale sans prise en compte d'un minimum de salaire.

La France impose un minimum de salaire pour un emploi à plein temps : le SMIC est fixé à 1 747,20 € mensuel brut depuis le 1er mai 2023 (République Française, 2023). En prenant en compte ce minimum, la distribution serait la suivante :

Figure 2 - Distribution de la masse salariale avec un minimum de 1 747,20 € (SMIC 2023).

La CGT revendique 2 000,00 € mensuel brut comme minimum de salaire pour un emploi à plein temps (CGT, 2021). La prise en compte de ce minimum donnerait la distribution suivante :

Figure 3 - Distribution de la masse salariale avec un minimum de 2 000 € (CGT 2023).

On voit que la prise en compte d’un minimum de salaire assure un niveau de vie jugé nécessaire par la société sans coûter beaucoup aux plus hauts salaires (au maximum 41,27 € brut par mois).

Figure 4 - Les salaires selon trois hypothèses de minimum

La prise en compte d’un salaire minimum resserre l’éventail des salaires surtout par le bas.

Figure 5 - Distribution des salaires sans minimum.
Figure 6 - Distribution des salaires avec un minimum de 2 000 €.

Le conflit de la réforme des retraites qu’a menée l’exemplaire intersyndicale n’aurait pas eu lieu avec une répartition du PIB selon cette grille des salaires. À 60 ans, chacun est libre de continuer à tenir l’emploi dans lequel il déploie son activité, mais, à 60 ans, la personne n’a plus ses preuves à faire ; son salaire est bloqué à 75% (le taux de remplacement) du niveau qu’il avait atteint à 59 ans.

Avec un taux de remplacement de 100% dans l’hypothèse du salaire minimum de 2 000 € revendiqué par la CGT, la distribution des salaires serait la suivante :

Figure 7 - Distribution de la masse salariale avec un minimum de 2 000 €
et un taux de remplacement de 100%.

L’augmentation du taux de remplacement de 75% à 100% resserre l’éventail des salaires par le haut.

Figure 8 - Distribution des salaires avec un minimum de 2 000 €
et un taux de remplacement de 100% à 60 ans.

Tous fonctionnaires pour autant ? Tous rangés à la même enseigne, sans prise en compte du mérite ? Non.

La distribution de la masse salariale laisse ici 1/3 du PIB disponible aux entreprises, soit 880 Md€.

Pour quoi faire ? 

  • Conforter (en entretenant l’outil de production) et développer (en alimentant le fonds propres) l’entreprise ;
  • Rembourser les dettes souscrites pour compléter les fonds propres et disposer des ressources nécessaires à l’achat de l’outil de production ;
  • Gratifier les actionnaires (dividendes) selon leur portefeuille dans le capital social et les salariés (primes) selon qu’ils remplissent les objectifs du collectif de travail (mérite).

Le mérite ne peut donner lieu à rémunération qu’au moment où il se manifeste. Il est hors de question de le graver à vie dans le salaire, ni de l’ignorer à partir de 60 ans. Le salaire assure la sécurité sociale professionnelle des travailleurs (Dumas, 2022/4).

Le modèle de société

Qu’elle soit capitaliste ou communiste, la société attribue la propriété de la valeur ajoutée aux propriétaires, publics ou privé. C’est ce propriétaire qui rémunère ses salariés le moins possible et lui-même le plus possible au risque de mettre en péril l’unité de production quand les dividendes explosent et que l’outil de production vieillit faute de réparation (amortissements).

Le modèle de société proposé ici consiste à attribuer la propriété de la valeur ajoutée aux collectifs de travail de chaque unité de production. Le profit devient alors l’épargne qui va permettre de conforter (amortissements) et de développer (reports à nouveau) l’entreprise qui devient un commun. Actionnaires et travailleurs sont gratifiés sur le bénéfice après la fixation en commun du report à nouveau pour développer l’entreprise.

L’entreprise

Toutes les organisations syndicales de salariés revendiquent plus de démocratie. L’appartenance de la valeur ajoutée au collectif de travail constitue le fondement de cette revendication.

En apportant le tiers de la valeur ajoutée pour conforter l’outil de production et rembourser les dettes, pour développer les fonds propres et même gratifier le mérite de chacun, le collectif de travail affirme le caractère capitalistique de sa contribution à l’entreprise.

Le droit des sociétés ne règle que la relation entre les membres de la société d’actionnaire. L’entreprise n’a aucune consistance organique, elle n’est constituée que d’un ensemble de contrats plus ou moins encadrés par des lois comme celles qui constituent le code du travail largement soumis au rapports de forces liant les acteurs.

Depuis 2014 et son 17ème congrès, l’Ugict CGT revendique la création d’un statut de l’entreprise distinct de celui de la société d’actionnaires (Ugict CGT, 2014).

Le conseil d’administration ne saurait être le lieu de coopération entre la société d’actionnaires et le collectif de travail, c’est un organe de la société d’actionnaires où les représentants des salariés ne pourront être que des observateurs.

L’entreprise doit être dirigée par un conseil d’entreprise constitué de représentants de la société d’actionnaires et de représentants du collectif de travail, le poids de chacun étant proportionnel à sa contribution aux ressources : le capital social pour la société d’actionnaires et le reste pour le collectif de travail.

Le travailleur indépendant constitue à lui tout seul la société d’actionnaires et le collectif de travail. Il touche donc le salaire que doit lui procurer sa qualification et son expérience, ainsi que tout le bénéfice qu’il ne met pas en fonds propres.

La dette, la dette…

Après l’épisode de la crise sanitaire du Covid-19 et la politique du quoi qu’il en coûte, la politique de rigueur et la question de la diminution de la dette publique reprend le devant de la scène. Mais la dette est le résultat du déficit créé par l’excès de dépenses par rapport aux recettes, mais aussi par l’insuffisance des recettes par rapport aux dépenses.

L’État n’a cessé de nationaliser la sécurité sociale depuis sa création, avec la création de la cotisation patronale qui, de toute façon, fait bien partie de la masse salariale (Cotis, 2009). La sécurité sociale conçue comme un Commun administré par les bénéficiaires eux-mêmes (Borrits, Entre marché et État, la Sécurité sociale, un commun inachevé., 2023/1) a été mis dans les mains de l’État. Cette nationalisation lui a permis de contrôler les dépenses de santé et de chômage, de marginaliser les allocations familiales et de remplacer les cotisations sociales par de l’impôt à des fins de politique économique – les exonérations sociales sur les bas salaires (de plus en plus haut).

Pour réduire la dette, il faut

  • soulager le budget de l’État du poids des dépenses de la sécurité sociale couvertes par l’impôt en alimentant ses recettes avec les cotisations sur les salaires qui représentent 2/3 du PIB depuis le milieu des années 1980 ;
  • laisser les entreprises organiser les mutualisations nécessaires pour assurer leur viabilité elles-mêmes, comme un Commun indépendant de l’État (Borrits, Construire la sécurité économique, s.d.) pour soulager le budget de l'État ;
  • ajuster les recettes de l’État à ses dépenses.

Avec une cotisation de 2/3 de leur valeur ajoutée, les entreprises pourraient alimenter une caisse des salaires administrée par les représentants de toute la société au bénéfice de tous les citoyens de 18 à la fin de leur vie selon leur qualification et leur expérience.

Seule les dépenses de santé seraient nécessaires à couvrir, elles représentent moins de 15% du PIB qui pourrait être alimentées par une cotisation sur les salaires et sur les profits des entreprises (toute unité de production) de 15%.

Quant à l’État, il pourrait imposer chaque citoyen sur ses salaires et ses dividendes, mais aussi sur ses héritages, ainsi que les entreprises sur leur reports à nouveau – plus d’impôts sur la consommation, plus d’impôts sur la production ou sur les sociétés, ni sur les portes et fenêtres, seulement des impôts sur les revenus et les héritages des personnes physiques et morales.

Simplifions notre fonctionnement en société !

Les sources et la méthode du baromètre

La comptabilité nationale annuelle constitue la première des sources utilisées ici (INSEE, Les comptes de la Nation en 2022, 2023). Elle permet de connaître la PIB (2 639 Md€).

Ensuite, l’outil interactif de l’INSEE permet de découper la pyramide des âges en trois tranches ([0 ;18[, [18 ;60[, [60 ;99]) et de connaître les effectifs à chaque âge (INSEE, Pyramide des âges au 1er janvier 2023, 2023).

Enfin, l’OCDE affiche le niveau de formation des adultes de 25 à 64 ans (OCDE, 2022).

En annexe, on trouvera le tableau des salaires calculés sur le PIB 2022 avec minimum de 2 000 € du 1er échelon à 18 ans jusqu’au dernier à 60 ans. Cette matrice a sa logique propre, un gap de 20% entre les colonnes adjacentes et un gap de 1/41 du 1er à l’avant-dernier échelon, le dernier étant à 75% du précédent.

La pyramide des âges interactive de l'INSEE qui permet d’avoir le nombre de personnes pour chaque âge au 1er janvier de chaque année. En multipliant les deux matrices terme à terme, on obtient une matrice dont la somme des termes est la masse salariale. En utilisant la fonction valeur cible appliquée à cette masse salariale et en ajustant la première valeur hors minimum de la matrice des salaires mensuels, on obtient les salaires distribuables qui permettent laisser aux entreprises 1/3 de profit sur la valeur ajoutée. La répartition de la population entre les niveaux de qualification donnée par l’OCDE est appliquée à tous les âges (en considérant que l’expérience peut produire de la qualification).

Annexe

Figure 10 - tableau des salaires calculés sur le PIB 2022 avec minimum de 2 000 €

Références

Barbesol, Y., Givord, P., & Quantin, S. (2009, décembre 1er). Partage de la valeur ajoutée, approche par données microéconomiques. Récupéré sur insee.fr: https://www.insee.fr/fr/statistiques/1380904

Borrits, B. (2023/1, avril). Entre marché et État, la Sécurité sociale, un commun inachevé. (L. b. l'eau, Éd.) La revue du MAUSS(61), 139-152. Récupéré sur https://www.cairn.info/revue-du-mauss1-2023-1-page-291.htm

Borrits, B. (s.d.). Construire la sécurité économique. Récupéré sur Le site de la sécurité économique et sociale: https://securiteeconomique.org/

CGT. (2021, août 17). Les repères revendicatifs de la CGT. Récupéré sur 53e congrès CGT: https://www.cgt.fr/dossiers/les-reperes-revendicatifs-de-la-cgt

Cotis, J.-P. (2009). Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France. Paris: INSEE.

Dumas, M. (2022/4). Démarchandiser le travail pour contrecarrer le capital. La Pensée(412), 17-26. Récupéré sur https://www.cairn.info/revue-la-pensee-2022-4-page-17.htm

INSEE. (2023, mai 31). Les comptes de la Nation en 2022. Récupéré sur Insee: https://www.insee.fr/fr/statistiques/6793580?sommaire=6793644

INSEE. (2023, janvier 1er). Pyramide des âges au 1er janvier 2023. Récupéré sur Insee: https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5014911/pyramide.htm

OCDE. (2022). Regards sur l'éducation 2022 : Les indicateurs de l'OCDE. Récupéré sur OECDiLibrary: https://www.oecd-ilibrary.org/sites/8b532813-fr/1/3/2/1/index.html?itemId=/content/publication/8b532813-fr&_csp_=5bf84931fe34b4ecf1c2efc495428ceb&itemIGO=oecd&itemContentType=book#annex-d1e2594

République Française. (2023, avril 27). Le site officiel de l'administration française. Récupéré sur https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16528

Ugict CGT. (2014, mai 23). 17ème Congrès de l'Ugict CGT. Récupéré sur Ugict CGT: http://www.ugict.cgt.fr/doc_download/367-document-d-orientation-du-17eme-congres