26 avr. 2015

Faut-il rembourser ses dettes ?

Déclinaison de la règle d’or*, c’est une évidence pour tout honnête Homme. Répondant à une amie rencontrée dans un cocktail à Londres, David GRAEBER (Dette, 5000 ans d’histoire) explique combien cette règle serait néfaste au système économique si elle était vraie.

Le mieux, c’est de lire.
« Ce que vous dites semble aller de soi, je le sais, mais, bizarrement, ce n’est pas du tout ainsi que les prêts doivent fonctionner sur le plan économique. Les institutions financières servent à canaliser les ressources vers des investissements rentables. Si une banque a la garantie de récupérer son argent plus un intérêt quoi qu’elle fasse, le système s’effondre. J’entre dans l’agence la plus proche de la Royal Bank of Scotland et je dis à ses responsables [que j’ai un tuyau en or massif sur une course de chevaux et que je demande deux millions], ils vont sûrement me rire au nez. Pour une seule raison : ils savent que si mon cheval ne gagne pas, ils n’auront aucun moyen de récupérer l’argent. Mais imaginons qu’une loi garantissant qu’ils seront remboursés quoi qu’il puisse se passer, même si cela m’oblige, disons, à vendre ma fille comme esclave, ou à me faire prélever mes organes, que sais-je encore. Dans ce cas, pourquoi pas ? Pourquoi prendre la peine d’attendre que quelqu’un vienne avec un projet viable de laverie automatique ou autre ? »
Rembourser ses dettes n’est pas un énoncé économique et social. S’il se vérifiait toujours, il détruirait le bon fonctionnement du système économique et social. Sa force ne vient que du fait qu’il prend tout son sens comme énoncé moral. Si tu prêtais de l’argent, tu ne voudrais pas qu’on ne te le rembourse point.

Mais la morale ne concerne que les individus, par les organisations. Les États ne sont jamais condamnés pour crime de guerre ou crime contre l’Humanité. Seuls les individus sont appelés à rendre des comptes. Il n’y a aucun devoir moral à imposer à un État vis-à-vis des banques. Ils n’ont pas à être punis.

« Too big to fail », c’est ce qui établit le rapport de force dans lequel les banques s’imposent à la société humaine. Et l’action de la troïka (Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et Fond Monétaire International) dans la gestion de la crise grecque n’a consisté qu’à sauver les banques en rachetant la dette grecque et à punir le peuple grec. Elle a réussi à déplacer le registre de l’efficacité économique et sociale vers celui de la morale. Le problème reste entier.

Les économistes atterrés ont publié leur nouveau manifeste dans lequel ils proposent « quinze chantiers pour une société sobre, égalitaire et solidaire : écologie, gouvernance des entreprises, protection sociale, régulation des banques et de la finance, échanges internationaux, etc. ». Il est temps de prêter attention à ces propositions pour sortir l’Europe de la crise dans laquelle les politiques d’austérité l’enfoncent.

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La règle d’or est le seul précepte moral qui s’impose à chaque être humain pour une humanité fraternelle. Elle peut être exprimée dans une forme défensive : « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. » ; elle peut aussi être exprimée dans une forme positive : « Fais à autrui ce que tu aimerais qu’on te fasse. ».