7 déc. 2023

Renouveler le paysage du conflit social et le terrain de la politique

La création de la #Nupes a révélé la fracture qui coupe la gauche en deux : la gauche Cazeneuve qui se satisfait d'une simple alternance du personnel politique aux affaires et la gauche Mélenchon de transformation de la société et de maladresses teintées de populisme. Aujourd'hui, les maladresses ont pris le pas sur les transformations inscrites dans le programme de la #Nupes et elles viennent de tous les partenaires : les écologistes veulent faire cavalier seul, le PS est partagé entre isolationnistes et unionistes, le PCF joue aux grands effarouchés devant la conflictualité et LFI se perd dans des psychodrames ! Il est temps de revenir au fond.

La gauche est sensée vouloir transformer la société pour mettre fin à l'exploitation du travail - c'est la double tâche à laquelle est attachée la CGT : la défense des salariés dans la société telle qu'elle est et la transformation de la société. Le fondement de la transformation de la société réside bien dans l'exploitation du travail qui caractérise notre société. Mais en quoi consiste-t-elle, cette exploitation ?

Le discours de la gauche ne porte que sur l'inégalité, le pouvoir d'achat, l'emploi, l'intérêt national sans réflexion transformatrice sur la cellule économique de la société et la fiction qu'est l'entreprise, fiction dont profitent les propriétaires du capital social qui s'en prétendent les propriétaires. Le conflit social tiendrait dans la lutte entre travailleurs et actionnaires pour s'approprier le maximum de la valeur ajoutée. C'est ainsi que même à gauche, le travail des politiques ne touche pas au fondement de la richesse. Les "extrémistes" obsédés par les nationalisations ne suppriment pas le conflit social du capitalisme, la lutte entre travailleurs et Etat devenu propriétaire reste une lutte pour s'approprier le maximum de la valeur ajoutée.

La mise en avant de la valeur travail cache une vision négative du travail comme un coût pesant sur la valeur ajoutée, alors que c'est bien le travail qui produit toute la valeur ajoutée. La valeur travail est proclamée non comme une richesse pour la société et la personne, mais comme un devoir de tous au bénéfice de la société d'actionnaires partagé entre les actionnaires selon leur portefeuille. Que la propriété du capital soit publique n'y change rien, le profit pris sur la valeur ajoutée n'appartenant pas plus au collectif de travail qui l'a produit.

L'entreprise est constituée par deux acteurs : la société d'actionnaires qui regroupe l'ensemble des propriétaires de parts dans le capital social et le collectif de travail qui produit la valeur ajoutée de chaque exercice. Le conflit social n'est plus le même : désormais, le conflit porte sur la reconnaissance de la propriété du collectif de travail sur la valeur ajoutée qu'il produit. Ce conflit se décline en deux chapitres : la distribution de la partie de la valeur ajoutée consacrée à la rémunération des travailleurs et la maîtrise de la partie de la valeur ajoutée consacrée à l'entretien et au développement de l'outil de production par le collectif de travail.

Rémunération du travail

Depuis quarante ans, la part des salaires représente les deux tiers de la valeur ajoutée en moyenne. Cette moyenne cache une grande diversité selon les secteurs (Activités immobilières 31% ; Services aux entreprises 78%) ou selon le type d'entreprise (ETI 68% ; Grandes entreprises 59%), mais aussi selon le niveau de salaire (le 1er décile 3% des salaires ; le 10ème décile 24% des salaires).

Deux étapes marquent la vie des personnes, le passage d'enfant à adulte vers 18 ans, le passage d'adulte actif à retraité vers 60 ans. La plupart des gens obtiennent un bac à 18 ans ou commencent un métier, un certain nombre a quitté l'éducation national sans qualification. Après, un certain nombre trouve un emploi, d'autres sont en apprentissage, d'autres enfin continue leur formation initiale en licence, en maîtrise ou en doctorat. La réforme des retraites de Macron 2022 n'est qu'une opération pour faire des économies pour financer les subventions aveugles et onéreuses des entreprises : 200Md€. A 60 ans, plus personne n'a de preuve à faire. Trois âges sont traversés par chaque personne : l'enfance jusqu'à 18 ans éduqué par la famille et l'Education nationale, l'activité employée de 18 à 60 ans selon ses qualifications pour améliorer son expérience et être utile à la société et l'activité libérée à partir de 60 ans. Nous sommes tous des travailleurs.

Les salaires à la main des entreprises sont distribués en fonction d'un marché du travail qui laisse près de 10% des adultes en dehors de l'emploi, rendant l'activité des aidants si nécessaire sans valeur (bénévolat) ou de peu de valeur (aide à domicile), ignorant la qualification et l'expérience au profit d'un mérite surtout utile à la baisse du "coût du travail".

Le PIB 2022 (2639Md€) permet de distribuer 1759€ aux adultes employé (18 à 60 ans) et libérés (plus de 60 ans) et de consacrer 880M€ à la réparation et au développement de l'outil de travail. Il suffit alors que chacun cotise 15% de son salaire pour assurer le financement des dépenses de santé. 200Md€ de bénéfices permettent de gratifier les membres des sociétés d'actionnaires (dividendes) et les membres des collectifs de travail (primes). Les cotisations santés sont payés par chaque personne (15% de son salaire). Les salaires sont imposés à 29% et les gratifications (primes et dividendes significatives pour 5% de la population) à 35% en moyenne. Plus de déficit social ni public !

Une distribution du PIB rémunérant qualification et expérience nationalement
et des gratifications rémunérant le "mérite" évalué localement

Cette distribution et ces prélèvements suppriment tout déficit social et public, tous les besoins de la société sont couverts chaque année à la hauteur permise par l'activité économique, les risques liés à l'emploi encourus par les entreprises sont mutualisés par leur cotisation "salaires" - 2/3 de la valeur ajoutée.

La liberté d'entreprendre, mais aussi de "se dépasser" sur son emploi sont encouragées et les gratifications les valorisent, y compris pour les personnes qui continuent en emploi libéré sans évolution de son salaire - retraités en emploi. Le personnel politique n'a pas a être rémunéré spécifiquement, juste indemnisé pour les frais qu'il doit supporté. La personne qui loue un logement cotise aussi aux 2/3 sur la plus-value réalisée, elle a les moyens de vivre avec son salaire au niveau de sa qualification et de son expérience. Le tiers restant sert aux travaux d'entretien et au bénéfice qu'elle peut s'attribuer. On peut multiplier ainsi les figures de ce nouveau contrat social.

Statut juridique de l'entreprise

L'entreprise est une fiction constituée d'un ensemble de contrats entre la société d'actionnaires et chaque fournisseur, chaque salarié, chaque client, etc. L'entreprise n'a pas de statut juridique, seule la société d'actionnaires a une personnalité juridique, c'est elle la personne morale. Le capital en profite, une réforme des entreprises est nécessaire.

L'absence de statut juridique de l'entreprise explique l'exploitation du travail.

La société d'actionnaire profite de l'absence de statut juridique de l'entreprise et exploite le travail en s'appropriant le chiffre d'affaires et en limitant le rôle du travail à une prestation. Le caractère public du capital social ne change en rien l'exploitation du travail. Le caractère public de la propriété du capital n'est pas justifié par la suppression de l'exploitation du travail, mais par le caractère de monopole du secteur relativement à son domaine géographique - par exemple le territoire d'alimentation en eau.

Donner un statut juridique à l'entreprise qui soit distinct de celui de la société d'actionnaire est nécessaire à l'éradication de l'exploitation du travail.

Le statut juridique de l'entreprise doit reconnaître l'apport du collectif de travail.

La société d'actionnaire n'est propriétaire que du capital social qui représente moins d'un tiers en moyenne (K) des ressources de l'entreprise et une partie seulement des fonds propres. C'est le collectif de travail répare le vieillissement de l'outil de travail (amortissements), qui rembourse les dettes contractées pour compléter les ressources et alimente les fonds propres. Le capital social ne représente qu'une partie (k) des fonds propres.

L'exploitation du travail collectif cessera quand le collectif de travail aura droit de décision sur la partie de la valeur ajoutée qu'il investit dans l'entreprise au niveau de sa contribution capitaliste (1-K). Une fois le report à nouveau fixé en fonction du bénéfice, la somme restante doit être partagée entre la société d'actionnaires (dividendes) et le collectif de travail (primes). La clef de répartition juste et efficace de cette somme est k pour la société d'actionnaires et (1-k) pour le collectif de travail.

La société d'actionnaire distribue (bénéfice * k) aux actionnaires en fonction du portefeuille de chacun. Le collectif de travail distribue (bénéfice * (1-k)) aux salariés en fonction des règles de management et des négociations internes. Le collectif peut exploiter le travail individuel de chacun. C'est là qu'interviennent la démocratie sociale, l'action syndicale et le droit du travail.

Renouveler le paysage du conflit social.

Les repères revendicatifs de la CGT affichent un plus grand nombre de niveaux de qualification. Nous en proposons ici cinq : N1, sans qualification ; N2, bac ou métier ; N3, licence ou cadre (technique et en management) ; N4, master ou cadre supérieur (technique ou en management) ; N5, doctorat ou cadre de direction. Ces qualifications peuvent être obtenues par formation initiale ou continue reconnues comme équivalentes à un emploi (déroulement de carrière) ou en VAE (validation des acquis de l'expérience) devant un jury paritaire entreprise et éducation nationale.

Ces repères revendicatifs proposent aussi une carrière qui, complète, double le salaire initiale. Ici, la carrière est complète quand la personne est en formation ou en emploi indépendant ou au sein d'un collectif de travail (entreprise ou association).

Renouveler le terrain de la politique.

La première tâche confiée au personnel politique est, à la fois, de mettre en place la distribution du PIB présentée ici, ainsi que le statut de l'entreprise distinct de la société d'actionnaires comme le revendique l'Ugict CGT dans tous les documents d'orientation votés depuis son congrès de 2014. Plutôt que de se laisser guider par des appartenances partisanes, les citoyens favorables à une transformation écologique et sociale de la société pourraient adopter ce positionnement programmatique et mettre au service de ce programme leur activité syndicale d'une façon efficace au sein de leur collectif de travail.