Un jour après la conférence où Macron présente son programme pour le prochain quinquennat, le journal Les Echos publie l'audit de la France à la fin du dernier Quinquennat. Cet audit mettant en exergue les trois actes de son réformisme avant de se féliciter et aborde la fiscalité, le marché du travail, le pouvoir d'achat, le système social, la décarbonisation du pays, l'école primaire, la place des universités dans le monde et la réindustrialisation.
Le journal présente dans son audit "un quinquennat riche en réformes économiques, avec beaucoup de libéralisation ainsi que des mesures sociales". Il fait du quinquennat Macron 1, un drame en trois actes:
- les grandes réformes
Par décret, la fiscalité du capital est allégée avec la suppression de l'impôt sur la fortune, la baisse de la taxation des revenus du capital et celle de l'impôt sur les sociétés. "Mécaniquement, les revenus des plus aisés, ceux qui détiennent du capital, en ont été confortés".
Quant au travail, les négociations au niveau de l'entreprise ont été privilégiée avec une inversion des normes et les conflits aux prudhommes bénéficiant de règles plus favorables aux employeurs et des indemnités bornées.
- les ajustements
Après, un certain nombre de mesures confortent ces réformes: la réforme de la SNCF, le CICE transformé en baisse de cotisations, changement des règles de l'assurance chômage, l'arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim, une timide réforme de l'hôpital, la privatisation de la Française des jeux, la loi PACTE, l'augmentation du nombre de salariés dans les conseils d'administration, etc.
Mais l'affaire Benalla, puis le mouvement des gilets jaunes pousse le gouvernement à "prendre des mesures sociales". Le journal oublie de signaler une répression des mouvements sociaux accrue depuis les manifestations contre la loi travail de la fin du quinquennat Hollande avec l'emploi des brigades anti-criminalité en service d'ordre et d'armes dites non-létales à l'usage largement condamné dans le monde.
- et une crise historique.
Enfin, la crise sanitaire due à la pandémie du Coronavirus arrivée début 2020 bloque la réforme systémique voulue par Macron au nom de la justice entre statuts différents d'emploi. Macon conduit la crise comme un chef de guerre en s'entourant d'un conseil de guerre et d'une accélération du travail de l'Assemblée nationale.
Arrive l'ère du "quoi qu'il en coûte". Avec une dette publique augmentant de 16 points de PIB, la France surpasse ses voisins (zone euro) qui ont contenu cette augmentation à 12 points. Le journal parle de "point aveugle": "rien n'a été fait pour maîtriser les finances publiques", "rien de sérieux sur l'école", "un seul rayon de soleil, l'apprentissage".
Macron se présentait le 10 mars dernier comme empêché de poursuivre par les Français en 2018 ses réformes commencées "sabre au clair". Il faudrait ménager ces Français "fatigués" par deux ans de Covid, chacun enfermé dans sa tribu, dans ses intérêts particuliers (Jérôme Fourquet). "La France est-elle réformable?" se demande Cécile Cornudet, vue comme plus difficile à bouger que ses voisins par les politiques. Jamais cette question n'est posée en lien avec le contenu des réformes. La France est tout de même le pays de la réforme la plus systémique qui soit: la Révolution de 1789.
Le journal persiste à mettre en avant le taux de dépenses publiques sur le PIB pour montrer combien l'Etat spolie la société. Jamais on n'affiche la dépense privée de cette façon, cela aurait l'avantage de montrer combien cet indicateur est bête.
En matière de fiscalité, Macron a une boussole: la compétitivité de la France et les chiffres affichés par le journal visent à comparer le poids des impôts de production en Europe, la dette publique dans le monde, les prélèvements obligatoires sur le capital et l'heure de travail sur la zone euro. Mais les prélèvements effectués par les assurances privées ne figurent pas dans les comptes et constituent aussi des prélèvements obligatoires, simplement une certaine part de la population ne peut pas bénéficier des services trop chers pour elle. Bien sûr, la fiscalité des entreprises est favorable à la compétitivité. Il faut s'attendre à ce que cette compétitivité soit encore améliorée si Macron répond à la demande d'allègement fiscal de 35 Md€ revendiqué par le Medef.
"Un marché du travail déverrouillé, mais pas encore optimal" titre le journal pour son chapitre emploi. "Le prochain gouvernement pourra compter sur une situation de l'emploi qui s'est nettement améliorée en cinq ans, mais il reste des réformes à mener (orientation, lycées professionnels, formation) pour faire mieux encore". Trois indicateurs (taux de chômage à 7,4% de la population active, nombre de personnes sans activité inférieur à 3M et emploi salarié supérieur à 20M) montrent que la situation de l'emploi s'est amélioré selon le journal. Le journal ne dit pas si les emplois créés génèrent suffisamment de salaire pour vivre.
"Le travail paie plus, mais l'inflation change la donne." Le pouvoir d'achat aurait augmenté de 6%, mais "le regain d'inflation et la guerre en Ukraine contraignent à prévoir de nouvelles mesures." Le pouvoir d'achat est la première préoccupation des Français. A partir de 2023, la sphère publique va se priver de 18Md€ par an avec la suppression de la taxe d'habitation. Une forte augmentation de la prime d'activité et le remplacement d'une partie des cotisations sociales par la CSG vise à donner du pouvoir d'achat aux actifs en ponctionnant celui des retraités. La baisse des APL concomitante à la suppression de l'ISF hors immobilier baptise Emmanuel Macron comme Président des riches. Les gilets jaunes imposent des mesures ciblées vers les plus pauvres pour 17Md€. La chute de 8% du PIB n'a pas eu d'impact sur le pouvoir d'achat des ménages grâce aux aides publiques massives du "quoi qu'il en coûte".
Mais, le journal le reconnaît lui-même avec Xavier Ragot (président de l'OFCE), le pouvoir d'achat affiché n'est qu'une moyenne qui cache la réalité d'une inégalité croissance, du blocage de dix ans des salaires de la fonction publique, de la dégradation de la qualité des emplois et de l'évolution des retraites même plus indexées sur le coût de la vie.
La réforme systémique des retraites placée au centre de son projet présidentiel est abandonnée au profit d'objectifs simplement financiers et se réduit à repousser l'âge légal de départ à 65 ans. Pourtant, cet ajustement n'a aucune nécessité financière d'après les projections du COR, l'équilibre est assuré en 2070 avec un déficit d'une dizaine de milliards d'euro autour des années 2030. Curieusement, Les Echos arrêtent la projection au plus fort du déficit.
Quant au financement de la santé cantonné à une économie de gestion quotidienne, notamment à l'hôpital, très contestée bien avant la crise sanitaire, il montre aujourd'hui quelques fragilités. "Dans [le] nouveau monde post-Covid il faudra probablement réapprendre à faire des choix politiques pour se donner des moyens d'investir" dans la santé. Les promesses faites aux laboratoires pharmaceutiques de progression moyenne de 2,4% des produits de santé pendant trois ans vont alourdir les besoins avec les révolutions thérapeutiques comme l'ARN messager pour les traitements, les thérapies génétiques, mais aussi dispositifs médicaux avec l'intelligence artificielle, la connectivité et la robotique.
La lutte contre la pauvreté devait bénéficier de la mise en place d'un Etat providence du 21ème siècle centré sur la petite enfance et le revenu universel d'activité selon Julien Damon, sociologue, enseignant (Sciences Po, HEC et ENSS). Celui-ci voient trois chantiers à poursuivre: les sans-papiers qui souffrent d'une politique d'abandon à la charité, l'amélioration de la situation des travailleurs sociaux et le revenu universel d'activité commencé avec l'extension de la prime d'activité. Macron se révèle bien comme le tenant d'une nationalisation de l'Etat social.
Enfin, le journal souligne le travail à poursuivre avec deux chantiers ouverts, mais à prendre en charge de façon ambitieuse: la décarbonation de la France (à peine ouvert) et la réindustrialisation (de façon timide).