18 juin 2019

Il est temps de se passer du capital.

Il ne s'agit pas là de spolier les propriétaires de capital social de l'entreprise, le droit de disposer  à leur convenance de la propriété qu'ils ont dans la société d'actionnaires (SA) est un droit constitutionnel. Mais il est temps de reconnaître la contribution du travail aux ressources de l'entreprise au travers d'une propriété d'usage du collectif de travail (CT) sur les ressources de l'entreprise à la hauteur de cette contribution.

En régime féodal, héritier de l'antiquité, l'Humanité n'était pas reconnue à tout le monde. Le seigneur avait droit de vie et de mort sur ses gens et pouvait ne leur laisser que le strict minimum pour ne pas mourir et entretenir au plus juste sa force de travailler.

La renaissance a vu le roi protéger la bourgeoisie susceptible de lui apporter large finance et mettre en place les unités de production qui ont finalement vraiment prospéré avec le statut des sociétés d'actionnaires mis en place par Napoléon.
Le modèle Napoléonien de l'entreprise
Le travail est la seule source de création de richesse, le capital de la société d'actionnaires est constitué d'épargne. Les profits produits par le collectif de travail (1/3 de la valeur ajoutée en moyenne en France, 765 Md€ au total) tombent dans la bourse des actionnaires qui décident seuls de leur utilisation. L'histoire sociale n'a pas été seulement alimentée par la recherche d'un meilleur salaire, mais aussi par la revendication des travailleurs du pouvoir de décider de l'utilisation de leur contribution. Et les profits sont bien apportés par le collectif de travail.

Le 20ème siècle a permis aux travailleurs de sécuriser et d'améliorer leur situation par la lutte sociale. Mais depuis la fin des années 1980, la "réforme" a écorné les contours du droit social construit, notamment par des exonérations et de la stabilisation des cotisations sociales au nom du "coût du travail" qui détruirait la compétitivité de l'entreprise. La sécurité sociale s'étant trouvée privée de l'ajustement de ses ressources aux besoins, les soins ont été contraints, l'hôpital appauvri, l'âge de la  retraite retardée et les pensions diminuées.

Ces réformes réactionnaires, productrices de pauvreté et d'exclusion, sont censées encourager le travail, elles favorisent le capital en augmentant les profits captés par la société d'actionnaires. L'absence de statut efface le travail de l'entreprise avec la confusion entre société et entreprise.
Contributions aux ressources de l'entreprise
En moyenne, le capital social représente moins d'un tiers des ressources. La vente de ce capital social entraîne tous les actifs de l'entreprise dans l'escarcelle de l'acheteur. Et souvent cet acheteur ne cherche qu'à s'accaparer la part de marché ou à supprimer un concurrent. Le modèle Napoléonien de l'entreprise rend dangereux tout changement de propriétaire; c'est ce qui se passe pour les usines Alsthom.

La plupart des organisations syndicales demandent une présence dans le conseil d'administration. Mais le conseil d'administration est un organe de la société d'actionnaires et ses membres ont le pouvoir que leur donne le portefeuille qu'ils représentent et le porte-feuille des salariés est bien faible. La place des salariés dans le conseil d'administration les condamnent à un simple rôle de témoin.

L'entreprise du 21ème siècle, bien-commun de ses parties constituantes, ne peut se satisfaire du statut de la société d'actionnaires. Il est temps de reconnaître la propriété d'usage dont le collectif de travail doit disposer pour tenir compte de son apport aux ressources.
Le modèle de l'entreprise bien-commun des parties constituantes
Le changement de propriété du capital social ne changera pas l'équilibre des pouvoirs dans l'entreprise, ce qui éliminera les disparitions des entreprises profitables. Le niveau de profit de l'économie française permet d'investir sans faire appel à l'épargne, par cotisation sur la valeur ajoutée. Le capital social est appelé à devenir marginal dans les fonds propres au fur et à mesure de la croissance interne de l'entreprise.

Il est temps de se passer du capital tout en protégeant le droit de propriété comme droit constitutionnel de propriété. Mais ce droit ne porte pas sur ce à quoi on ne contribue pas. La propriété lucrative constitue un moyen de liberté et d’innovation qui ne doit pas empêcher le développement interne des collectifs de travail. Cette réforme est le meilleur moyen de favoriser le travail.
Extrait du document d'orientation du 17ème congrès de l'Ugict CGT (2014)
L'Ugict CGT avait décidé de travailler à la mise en place d'un statut de l'entreprise distinct de celui de la société d'actionnaire lors de son 17ème congrès (2014). Elle a réaffirmé son ambition au 18ème congrès (2018).

Extrait du document d'orientation du 18ème congrès de l'Ugict CGT (2018)
Le sujet a été lancé avec la recherche dirigée par Blanche Segrestin à Mines Paris Tech dont elle a tirer le contenu de son livre "Refonder l'entreprise" écrit avec Armand Hatchuel en 2012. Depuis cette date, le collège des Bernardins (Olivier Favereau et Baudoin Roger) a abrité trois sessions de travaux sur le sujet:

Mais les travaux n'ont abouti qu'à envisager l'attribution de missions aux entreprises, proposition formalisée dans la thèse de Kevin Levillain, "Les entreprises à mission: Formes, modèle et implications d’un engagement collectif". L'idée est reprise par le rapport remis par Jean-Dominique Senard et Nicole Notat et on la retrouve dans la loi PACTE à côté de la privatisation d'Aéroports de Paris.

Demander à la société d'actionnaires de se donner une mission pour faire de l'entreprise un objet de création de commun est tout à fait illusoire, illusion mise en oeuvre dans la loi PACTE. Il est temps d'adopter l'ambition de l'Ugict CGT et de mettre en place le statut de l'entreprise qui permette de se passer du capital au fur et à mesure des exercices. L'Ugict CGT a besoin de partenaires sur ce travail, ses ressources sont largement mobilisées par l'actualité "réformatrice" du gouvernement et les dégâts industriels du marché des entreprises.

Il est temps de se passer du capital quand le collectif de travail est en capacité de prendre sa part de propriété d'usage sur l'entreprise, dès qu'il le souhaite; un indépendant vit de capital et de travail, sa propriété d'usage de travailleur doit le protéger contre les rentes excessives des enseignes dont les exigences doivent diminuer au fil des exercices pour prendre en compte la contribution du travail. Tout un droit des entreprises doit apparaître.

C'est le contenu des projets qui renouvellera la gauche.