« La gauche préfère la pureté au pouvoir » regrette Salman Rushdie dans un entretien à Philosophie Magazine. C’est tout à son honneur, mais extrêmement dangereux quand il s’agit de choisir entre un « ami décevant » et un « ennemi mortel ». Avec Macron, j’ai choisi la déception, beaucoup d’amis ont pensé que le centrisme qu’il proposait « gauche et droite » constituait le juste compromis permettant de dépasser le blocage dans lequel nous enferment la politique.
Favoriser le dialogue social dans l’entreprise est sain. Mais il faudrait d’abord que l’entreprise, bien commun, existât. Or, seule la société des actionnaires n’a d’existence juridique et le dialogue social n’a pas lieu entre partenaires au sein d’un organe commun, mais entre un donneur d’ordre et une multitude de fournisseurs de travail mis en concurrence.
La propriété est un droit constitutionnel qu’il n’est pas question de contester. Mais sa portée dans la vie économique est exorbitante. La société des actionnaires n’apporte en moyenne qu’un tiers des ressources et en fait rembourser les deux tiers par le profit tiré du collectif de travail. Elle fait tous les choix de gestion et s’attribue tout le résultat.
Pendant tout le 20ème siècle, la gauche s’est construite sur la contestation de la propriété des moyens de production. En 1917, il y a un siècle, la gauche a pris le pouvoir en Russie. Le totalitarisme qu’elle a mis en place n’est pas une simple dégénérescence conjoncturelle.
Par contre, le centrisme, en ignorant le caractère exorbitant de la propriété privée des moyens de production, nous jette dans la lutte des classes, donne tout son poids au rapport de forces et nous conduit tout droit à la guerre civile.
Il a fallu faire la révolution à la fin du 18ème siècle et subir bien des guerres civiles et dans toute l’Europe pour se sortir de l’ancien régime. Le 19ème siècle a installé un pouvoir bourgeois qui a imposé un capitalisme excessif tempéré par un socialisme de sécurité sociale et de code du travail grâce aux compromissions des gros propriétaires pendant la guerre.
La gauche doit maintenant procéder plus finement et porter la proposition de l’UGICT CGT de donner un statut juridique à l’entreprise distinct de la société des actionnaires (première décision du 17ème congrès), ainsi qu’un statut du travail qui reconnaisse le droit à la vie de tous, la rémunération des qualifications et le travail de chacun.
Actuellement, une entreprise n’est qu’un nœud de contrats produit par la société des actionnaires au service exclusif de ses actionnaires. Elle doit devenir un organe social qui reconnaisse la part de chacun, 1/3 pour la société des actionnaires (leur contribution moyenne aux ressources) et 2/3 au collectif de travail (moitié pour les ressources de l’entreprise, moitié pour rémunérer les compétences, les fonctions exercées et l’engagement des travailleurs).