11 nov. 2016

La fraternité enfin

« Liberté, Égalité, Fraternité », la révolution inachevée… En deux cents ans, les royautés, les empires et les républiques françaises ont vu se combattre Liberté et Égalité. Tantôt le progrès social a fait l’objet d’un développement accompagné par la loi, tantôt la liberté d’entreprendre a été privilégié avec la négociation et le contrat, sans tenir compte de la subordination de certains acteurs.

La fraternité n’a rien à voir avec une quelconque empathie.

Faire la charité n’est pas seulement une preuve d’amour porté à son prochain. C’est surtout une preuve d’amour porté à soi-même. On est fier de faire la charité, on l’est beaucoup moins d’en être destinataire. La charité ne peut pas fabriquer une société fraternelle – un frère, c’est un être autonome, libre et égal.

Être solidaire, c’est consacrer une part de soi-même à combler un besoin de l’autre qui n’en a pas les moyens, c’est faire de la redistribution. Mais là aussi, le bénéficiaire de l’aide est mis en position de dépendance. Et la dépendance ne peut construire la fraternité.

Une société fraternelle commence par répartir entre tous les fruits des richesses qu’elle crée. Cette richesse est mesurée nationalement avec le PIB. Les salaires (y compris la redistribution) représentent les 2/3 du PIB (rapport Cotis).

Un quart des salaires sont soumis au management dans les entreprises et les trois quarts qui y échappent sont maintenant jugés injustifiés et trop lourds (salaires de la fonction publique, indemnités maladies, chômages ou familiales).

Il faut libérer les salaires en les alimentant avec une cotisation sur la valeur ajoutée des deux tiers. Ce dispositif permettrait de dégager le salaire de tout management, de soulager le salarié d’une part importante de sa subordination, celle qui l’oblige pour avoir les moyens matériels de sa vie et de celle de sa famille.

Pour l’instant, ce n’est pas porté par un parti politique, seulement en partie par la CGT dont les militants sont absorbés par les problèmes que posent aux salariés la gestion managée des salaires, y compris dans la fonction publique.

Les salaires

La distribution des salaires doit favoriser les qualifications et la recherche de travail au sens large : emploi, formation, activité associative, etc.).

Les qualifications

L’Homme doit utiliser pleinement son cortex. Les « entrepreneurs » et les « responsables politiques » n’en conçoivent l’usage qu’au profit de leur activité. Mais l’usage fraternel de l’intelligence ne peut se résumer à la mesure d’un « savoir-faire / savoir-être » évalué et validé par un manager.

La société civile a besoin d’éducation, de savoir, de culture et il faut les favoriser au travers de la valorisation de la qualification.

La qualification est l’appréciation, sur une grille hiérarchique, de la valeur professionnelle d'un salarié, en fonction de sa formation initiale, de son expérience professionnelle, de la nature de son travail et de son niveau de responsabilité (Larousse).

La qualification appartient à la personne et n’est pas soumise au contexte comme la compétence qui est l’ensemble des dispositions, capacités, aptitudes spécifiques qui permettent à tout sujet [de maîtriser un sujet] qu'il met en œuvre à l'occasion de ses actes […] effectifs dans des situations concrètes, ce qui constitue la performance (Larousse).

La mise au travail

Un salaire valorisant la qualification produit de la qualification, mais ne mobilise pas les individus à travailler pour produire de la richesse. Une société qui ne consacre son énergie qu’à la formation n’est pas en capacité de durer.

Le développement d’une carrière doublant le salaire de 18 à 60 ans n’impose pas le travail, mais y motive fortement.

Le salaire à vie sans mise au travail incite trop la population à perdre de vue la nécessité de produire des richesses. Très vite, il deviendrait nécessaire de décréter des obligations, de les faire respecter. Une société autoritaire verrait vite le jour avec son cortège d’inégalités, de punitions, de retenues sur salaires, de nomenklatura. Bien vite le management ferait son retour.

La simulation sur le PIB 2015 (2 181 Md€)

Pour juger du caractère vivable de cette proposition d’un salaire à vie, les hypothèses suivantes ont été faites ici :
  • Cinq niveaux de qualification séparés par un écart de 20% entre niveaux adjacents ;
  • Une répartition des qualifications dans la population définie par les résultats de l’INSEE ;
  • Une répartition linéaire de l’âge pour une qualification donnée ;
  • Une croissance annuelle linéaire des salaires entre 18 et 60 ans qui double le salaire initial ;
  • Un salaire à vie au niveau obtenu à 60 ans, même au travail (travailler est aussi une liberté).

Cette simulation donne le tableau suivant :

Simulation du salaire à vie avec mise au travail sur le PIB France 2015
À partir de l’âge de 18 ans, les Français toucheraient un salaire qui se trouve dans cette grille, qu’ils pourraient améliorer en travaillant (entreprise, association, formation, recherche d’emploi) et doubler grâce à une carrière complète.

Le label travail peut évoluer, c’est la loi qui le fixerait. Le tableau serait reconstruit chaque année pour que l’augmentation annuel de la productivité soit prise en compte.
Plus d’égalité

Par rapport à la situation actuelle, 95% des salariés gagnent moins de 4 412 € et ceux qui gagnent moins de 1 064 € (plus que le seuil de pauvreté actuel) verraient leur situation améliorée quel que soit sa qualification, jusqu’à 2 228 €, en particulier les privés d’emploi, beaucoup de travailleurs libéraux, la plupart des temps partiels imposés.

Plus de liberté

La mobilité, voulue par les plus jeune, empêchée par le risque qu’elle constitue pour la vie personnelle et pour celle de sa famille, est rendue facile à décider. Là, la séparation par consentement mutuel devient un droit.

Si cet état de salarié ne suffit pas, chacun peut créer une entreprise, un commerce, une activité. Il ajouterait ses dividendes à son salaire… N’engageant que les capitaux qu’il place, l’entrepreneur ne risque pas de mettre en danger sa vie ni celle de sa famille. En cas de faillite, seul le déroulement de sa carrière s’arrêterait jusqu’à ce qu’il reprenne un travail.

Plus de marge dans l’industrie

« Pas de compétitivité sans marge » nous disait Patrick Artus en 2011. Mais le défaut de marge ne vient pas du coût du travail, affirmait-t-il, mais de positionnement de gamme. Les PME françaises ne grandissent pas, elles sont absorbées par de grands groupes dès qu’elles atteignent une certaine taille.


Mais le rapport commandé par François Hollande à Louis Gallois dès son arrivée au pouvoir en 2012 s’est focalisé sur la compétitivité et le coût des salaires : pacte pour la compétitivité de l'industrie française. Il propose de faire un choc de compétitivité avec un allègement de charges d’un montant de 30 Md€. 

Avec la cotisation de 2/3 de la valeur ajoutée pour les salaires, la plupart des secteurs verraient le coût du travail baisser comme le montre le graphique suivant :

La plupart des secteurs économiques bénéficient de la réforme des salaires.
L’entreprise

Mais cette socialisation du salaire ne suffit pas, il faut aussi construire le système économique susceptible de produire la valeur ajoutée nécessaires à des salaires qui répondent aux besoins. Pour cela, il faut réformer l’entreprise, c’est-à-dire donner un statut juridique à l’entreprise distinct de celui de la société des actionnaires (résolution 1 des orientations de l’UGICT-CGT adoptées en son 17ème congrès).

L’entreprise est gratifiée d’un beau modèle qui laisse penser que c’est un lieu de coopération capital-travail qui construit un bien commun. Or la société des actionnaires (SA) ne fournit pas toutes les ressources de l’entreprise. Son capital social et complété par des emprunts remboursés avec la valeur ajoutée produite par le collectif de travail (CT).

Par contre, le résultat de chaque exercice lui appartient !

L'entreprise d'aujourd'hui n'est pas un bien commun,
alors que le collectif de travail fourni les 2/3 des ressources en moyenne.
La SA apporte K% des ressources, elle reçoit 100% du profit produit par l’exercice. Elle fait grossir éventuellement les capitaux propres de l’entreprise par une mise en réserve d’une partie de ses profits.

En moyenne, en France, la part des capitaux propres dans les ressources est d’un-tiers.

Le profit annuel alimente la rémunération des actionnaires et les mises en réserve. Au niveau national, sur 700 Md€ de profit, 300 Md€ sont consommés et 400 Md€ investis.

Ces investissements ne sont pas réservés à l’entreprise qui a produit ces profits. L’innovation financière et la mondialisation du marché des capitaux met en concurrence cette entreprise avec tous les placements mis à disposition des actionnaires.

Les projets de l’entreprise doivent produire des rendements financiers supérieurs à ceux que pourraient obtenir ailleurs les actionnaires. Cela constitue un élément déterminant de désindustrialisation, probablement plus déterminant que le coût du travail.

Pour sécuriser la mise en réserve d’une part juste et, si possible, suffisante du résultat, il faut limiter la propriété de la SA sur le résultat. Le taux est simple à déterminer, ce serait la part du capital social dans les ressources (K%). La mise en réserve serait de 1-K%.

Ainsi, une SA ayant bloqué un capital social représentant K% des ressources serait propriétaire de K% du résultat, le reste (1-K%) étant systématiquement mis en réserve pour alimenter les ressources propres de l’entreprise.

L'entreprise bien-commun doit pouvoir alimenter ses réserves avec son résultat.
La gouvernance des entreprises mise en place depuis une quarantaine d’années vise à créer de la valeur pour l’actionnaire. L’objectif est louable, il s’agit d’attirer une partie des 2/3 des profits annuels pour alimenter les ressources de l’entreprise.

Dans l’entreprise bien-commun, la mise en réserve est assurée conjointement à la juste rémunération du capital et il suffit que cette mise en réserve soit suffisante pour que les projets de l’entreprise soient rentables.

Louis Gallois, bien qu’adhérant totalement à la thèse de Patrick Artus sur le problème de la dissolution des PME françaises dans les grands groupes, n’a pas cherché à traiter la question. Tout se passe comme si le poids exorbitant de la propriété lucrative dans l’entreprise était intouchable. Cet excès impose un coût du capital que nos élus préfèrent couvrir par un discours incessant sur le coût du travail. C’est ce qui tue la gauche.


La réforme

Le système économique libéral d’aujourd’hui est bâti sur la concurrence entre les citoyens avec le marché de l’emploi qui permet aux propriétaires lucratifs de contraindre le coût du travail.

La réforme proposée ici vise à généraliser l’invention de la sécurité sociale pour sécuriser la vie : plus de risque chômage, ni vieillesse. Elle n’embarque pas la couverture maladie (dont grande dépendance, pourquoi flécher l’âge en cette matière ?) et famille.

Le système économique libéral d’aujourd’hui donne un poids indu aux propriétaires lucratifs et maintient les collectifs de travail en situation de subordination et les prive du poids que devraient leur donner leur contribution aux ressources de l’entreprise.

La réforme proposée ici vise à sécuriser la mise en réserve des résultats pour les ressources de l’entreprise et assurer son développement. Elle n’embarque pas de politique industrielle, ni une remise en cause du marché comme système de régulation.

L’ensemble de ces deux dimensions constitue une réforme libérale qui met une justice fraternelle dans le partage des richesses sans léser la propriété. Il faut la compléter sur la couverture des risques a non couverts (maladie et famille), sur l’organisation du gouvernement de la politique industriel et économique (dont le système bancaire).

La mise en œuvre de cette réforme et le travail nécessaire pour la compléter doit nous permettre de digérer humainement la raréfaction du travail et apprendre à l’Humanité à vivre riche et oisif (lire « Lettre à mes petits-enfants » de John Maynard Keynes).