15 juil. 2016

Choix de société

François Hollande a construit son élection de président de la République sur son discours du Bourget où il se présentait comme l’ennemi de la finance. C’est un homme du 20ème siècle qui reste prisonnier de l’alternative « capitalisme-socialisme ». Le développement de la lutte des classes plus favorable à tous doit trouver son terrain. Le cantonner à la dispute de la propriété des moyens de production a fait tant de ravages au siècle dernier ! 

La propriété est un droit constitutionnel. L’article 2 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen déclare : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. ».

Aussi bien pour éviter les grandes catastrophes humaines du 20ème siècle que pour respecter les droits naturels et imprescriptibles de l’Homme, il n’est pas question d’exproprier. Mais le droit de propriété exercé dans l’environnement entrepreneurial actuel est abusif quand tout le résultat produit au sein d’un exercice appartient aux propriétaires du capital, quand les dividendes sont cachés hors compte d’exploitation et que le résultat n’est pas mis en réserve, quand les réserves sont considérées propriété des propriétaires du capital.

Alors qu’il produit la valeur ajoutée et alimente au final deux-tiers des ressources de l’entreprise en assurant le remboursement des dettes, le travail, malgré les discours managériaux, n’a pas d’existence dans l’entreprise et constitue un élément d’ajustement aux contraintes extérieures.

Le débat politique reste figé dans l’alternative capitalisme-socialisme du 20ème siècle. Capitalisme et socialisme peuvent mobiliser, mais tous deux ont leur développement monstrueux : le totalitarisme soviétique, les camps cambodgiens, la dictature Pinochet, le racisme nazi, etc. Chacun a vu éclore contre lui la résistance qui grandit l’Homme. 

Aujourd’hui, le socialisme a disparu ou s’est transformé en capitalisme d’État comme en Chine ou dans les royaumes arabes. Du 20ème siècle nous héritons des débordements financiers du capitalisme. C’est contre ce capitalisme qu’il faut travailler pour construire un monde meilleur.

La recherche de compétitivité par la baisse de la masse salariale ne constitue pas une réponse pérenne à la question économique qui se pose en ce début du 21ème siècle ; cette réponse ne peut produire que misère et guerre.

La situation exige une réponse structurelle, la fondation d’un statut de l’entreprise et d’un statut du travail.

Donner un statut à l’entreprise.

La société des actionnaires ne fournit qu’une part des ressources de l’entreprise. Sa propriété doit rester circonscrite à cette part. Le reste est bien commun capital-travail.

Pour limiter les risques, les propriétaires lucratifs se groupent en société des actionnaires (SA). Cette SA ne fournit pas toutes les ressources dont a besoin l’entreprise et emprunte, deux fois leur mise en moyenne. Le banques prêtent ce complément de ressources avec des fonds qu’elles n’ont pas, mais qu’elles mettent à leur bilan en positif et en négatifs. Ces fonds fictifs sont remplacés par les remboursements avec une prime constituée des intérêts : la banque est une planche à billets.

Ainsi constituées, les ressources sont employées pour assurer la mise en œuvre du travail dans le but de produire une plus-value. Des usines peuvent être construites, des fonds utilisés pour couvrir les charges qui doivent l’être avant que les ventes produisent le chiffre d’affaire nécessaire au paiement des fournisseurs. Le reste, la plus-value, constitue le supplément de richesses assurant le paiement des salaires, le remboursement des dettes, la contribution au fonctionnement de la société grâce à l’impôt. Le reste constitue le résultat de l’exercice.

L’absence de statut de l’entreprise permet à la SA de s’approprier ce résultat et de le mettre en réserve pour grossir et sécuriser les ressources, ou non*. Ce mouvement ne figure pas au compte d’exploitation. Il est caché dans d’autres tableaux extrêmement difficiles à lire.

Le statut de l’entreprise doit expliciter l’adhésion de la SA :
  • Le niveau de sa part (K%) dans les ressources (un tiers en moyenne) fixe le niveau de sa rétribution qui doit figurer dans le compte d’exercice.
  • Le complément de ressources ne doit pas grossir le bilan des banques qui deviennent trop grosses et compléter la mise de la SA de deux fois son montant, c’est la moyenne actuelle.
  • Les dividendes sont prélevés sur les résultats bruts à concurrence de la contribution de la SA (K%). 
  • Les résultats nets sont totalement mis en réserve.

S’il est nécessaire à la réalisation du travail, le capital ne produit rien en soi. C’est le travail qui produit la valeur ajoutée. Le résultat est un bien commun qui doit totalement alimenter l’œuvre commune que constitue l’entreprise.

Le gouvernement de l’entreprise doit être attribué au capital (K%) et au travail (1-K%). La démocratie dans l’entreprise ne peut se réduire à la démocratie censitaire de la SA, mais refléter la contribution respective du capital et du travail dans les ressources.

Actuellement, un tiers du PIB alimente les profits (dividendes et mises en réserve) et deux-tiers les salaires (salaires du privé et du public, allocations diverses). La part des salaires a perdu 10 points sans que la part des investissements ait été augmentés.

En 2015, les PIB de 2 181 Md€ a été partagé en une part de 720 Md€ pour la propriété lucrative et 1 461 Md€ pour les salaires. Si l’entreprise avait le statut proposé ci-dessus, il y aurait eu 482 Md€ de mise en réserve dans les entreprises : plus que l’investissement réalisé.

Donner un statut au producteur.

Depuis les années 1980, les politiques concourent à la « baisse du coût du travail ». Les SA parviennent à augmenter la part des richesses qu’elles captent par l’individualisation des salaires qui permet de diminuer la masse salariale, l’externalisation du travail qui transforme les contrats de travail en contrats commerciaux, les réductions d’emploi et l’augmentation des charges de travail.

Les relations sociales dans l’entreprise n’ont rien de démocratique. Elles sont directement dépendantes du rapport de forces que les salariés, avec leurs organisations syndicales, parviennent à créer contre la subordination dans laquelle les tient le propriétaire lucratif.

Une seule méthode assure l’indépendance du producteur (celui qui travaille, quel que soit son statut) vis-à-vis de l’employeur : la cotisation et la rémunération de la qualification hors l’entreprise.

La proposition consiste à faire cotiser l’entreprise à un taux qui permettrait de réunir la part actuelle des salaires dans le PIB et à la répartir entre les producteurs selon leurs qualifications : cinq niveaux obtenus par la formation initiale et la reconnaissance des acquis de l’expérience.

Mais il est nécessaire de concevoir un dispositif qui pousse le producteur à produire : la carrière. De 18 à 60 ans, il serait possible d’augmenter sur salaire en travaillant dans un cadre socialement défini (entreprise, administration, association, formation, etc.). À partir de 60 ans, le producteur serait libre d’exercer le travail qu’il souhaite sans attache à un cadre particulier et serait rémunéré au niveau obtenu dans sa carrière.

Le PIB de la France permettrait à chaque producteur de percevoir de 1 064 € en début de carrière pour le premier niveau à 4 412 € en fin de carrière pour le cinquième niveau. Un retraité qui aurait une carrière complète gagnerai entre 2 128 € pour le premier niveau et 4 412 € pour le dernier niveau.

Actuellement, 4% des salariés gagnent moins de 1 064 € et 94% moins de 4 412 €. La plupart des salariés y gagneraient.

Je n’ai pas trouvé les informations permettant de déterminer l’intérêt du dispositif, mais lorsqu’on sait que la masse salariale représente 40% de la valeur ajoutée, on peut être confiant pour la plupart des entreprises : la cotisation devrait être inférieur à la masse salariale.

Faire un choix de société.

Si un certain nombre de secteurs seraient mieux servis par une organisation publique – les services vendus sur des infrastructures trop chères pour être produites par le privé – le marché présente l’intérêt de multiplier les centres de décision.

Mais la main invisible du capitalisme reste une croyance contredite par la réalité, elle ne produit que plus en plus de pauvreté et d’inégalité, de moins en moins d’activité.

L’apparition de l’agriculture avec le prélèvement d’une partie des récoltes pour la plantation de la prochaine est ce qui a produit l’Homme moderne. Mais cette invention a très probablement été produite par les ingénieurs des rois guerriers pour assurer la reconstitution de la force de travail des milliers de constructeurs de palais.

Aujourd’hui, le résultat des entreprises est accaparé par les propriétaires lucratifs qui peuvent bâtir des empires grâce à ce vol.

Il faut maintenant organiser les communs.

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* En huit ans, Orange a produit un résultat de 24 Md€ et distribué à ses actionnaires 28 Md€.