8 mars 2015

Ouvrir les portes de l’entreprise

La droite se présente toujours comme le champion de l’entreprise, la gauche se positionne du côté des salariés quand elle est dans l’opposition. Mais tout le monde fait comme si l’entreprise était un bien commun. Pourtant, l’entreprise se débarrasse si facilement de ses salariés et le propriétaire vend si aisément « son entreprise » qu’il est légitime d’en douter.

Le beau modèle de l’entreprise…

Figure 1 - Le modèle idéale de l'entreprise

Détruire le mythe et mettre en évidence la réalité

La société commerciale rassemblant les associés ou les actionnaires met son capital à la disposition de l’entreprise pour l’installer dans ses bâtiments, pour acheter les équipements et les fournitures dont elle a besoin, le collectif de travail transforme ces fournitures et les met à la disposition des clients ; ceux-ci achètent et le chiffre d’affaire qu’il fournissent est réparti entre fournisseurs, salariés et propriétaires après avoir doté l’entreprise des moyens de renouveler ses moyens (la dotation aux amortissements).

C’est au nom de ce monde parfait que les efforts sont demandés aux salariés : accepter de quitter l’entreprise ; accepter de gagner moins en travaillant plus ; accepter de payer la CSG contre l’exonération des cotisations patronales sur la moitié des salaires ; accepter de reculer l’âge de la retraite et de baisser le niveau des pensions ; accepter d’être employé sans pouvoir développer de parcours professionnel au gré des intérims et des CDD ; etc.

« Les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain » a doctement prédit le vieil Helmut Schmidt en 1975. Tout le monde y a cru ( ?) ou a fait semblant d’y croire, tous nos élus au niveau national, dans les régions, dans les métropoles, etc.

Tous ces élus dépositaires d’un certain pouvoir ont cru devoir étendre le champ d’action de l’entreprise avec les privatisations – une aubaine pour équilibrer les comptes malmenés par les exonérations fiscales.

Quarante ans après ces grandes manœuvres, le succès n’est pas vraiment au rendez-vous ! Les profits ont été produits, mais l’investissement n’a pas vraiment évolué et le nombre d’emplois est toujours insuffisant. Le chômage a explosé et là où l’emploi est satisfaisant, c’est au prix de Kurz Arbeit et d’emploi à la tâche ou plutôt grâce à la tricherie temporaire « moins disant compétitif » ; la charité remplace maintenant la solidarité sociale.

L’entreprise est moins belle qu’on la voudrait. Le propriétaire est maître chez lui, il est l’entreprise.

Figure 2 - Le modèle réel de l'entreprise

Que l’entreprise soit publique ou privée, le collectif de travail n’a pas droit au chapitre. Comme les fournisseurs et les clients, les salariés sont extérieurs à la société commerciale qui a signé le contrat d’embauche. Les salariés vendent leur force de travail comme les fournisseurs leurs produits ou leurs services, comme la société commerciale les produits ou services aux clients.

Le seul objectif de la société commerciale est de rémunérer le plus possible ses membres en réduisant les coûts (flèches rouges dans la figure 2) et en augmentant les revenus (flèches vertes).

La propriété est reconnue comme droit de l’Homme :
  • dans la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789* ;
  • dans la déclaration universelle de 1948**.
La propriété des actionnaires ne pourrait donc pas être remise en cause, elle est un « droit naturel et imprescriptible de l’Homme. Le 20ème siècle est l’histoire de la guerre que se sont livré partisans des nationalisations et de la propriété publique des moyens de production et défenseurs de la propriété privée. Cette opposition s’est portée sur l’opposition entre la conduite « démocratique » de l’économie par l’État et sa conduite libérale sur « les marchés ».

Le 20ème siècle a montré la supériorité d’une conduite libérale de l’économie, pas pour son caractère libéral, mais pour son caractère décentralisé. Le mur de Berlin a été abattu en 1989. Depuis le libéralisme s’est étendu et intensifié, accompagné par toutes les politiques publiques européennes. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire.

Les états généraux de l’entreprise

Entre profits réalisés dans le travail et investissement il y a une fuite. C’est au sein de l’entreprise que l’on va la trouver, en examinant la structure du bilan.

Figure 3 - La propriété détermine
la répartition de la richesse
et le gouvernement de l'entreprise
 Il est fréquent d’entendre parler de la faiblesse du haut de bilan des bilans français. Cette critique fait référence à la faiblesse des capitaux propres dans le bilan.

Le bilan est formé de deux colonnes naturellement égales :
  • la colonne des emplois décrit comment est utilisé l’argent dont dispose l’entreprise ;
  • la colonne des ressources décrit l’origine de l’argent dont dispose l’entreprise.
Le capital propre constitue le haut de bilan et plus sa part est importante dans les ressources, plus l’autonomie de l’entreprise est importante, puis que le complément est composé des emprunts et constitue la dette.

Ce capital est composé de l’apport de la société (capital social et cumul des différentes augmentations de capital), ainsi que des réserves constituées à partir du résultat des exercices passé, c’est-à-dire le travail passé. Par ailleurs, les emprunts seront remboursés dans les exercices futurs, du travail futur.
La société commerciale n’apporte donc pas tout le capital de l’entreprise, mais seulement une proportion K (K < 1). Elle ne peut donc prétendre récupérer tout le résultat ni disposer de tous les sièges du conseil d’administration.

La proportion K constitue légitimement la clef de répartition du résultat et des sièges au conseil d’administration entre la société et l’entreprise – le collectif de travail sait que les réserves doivent être alimentées pour l’avenir de leur emploi. C’est la condition pour que les salariés se sentent vraiment membre d’un collectif de travail partie-prenante de l’entreprise (figure 1 – modèle idéal de l’entreprise) et non simple rouage du système mis en place au service de la société commerciale (figure 2 – modèle réel de l’entreprise).

L’entrepreneur

Mis au service exclusif de la société commerciale par la carotte du salaire et le bâton de la révocation sans délai ni motif, le PDG assume l'autorité dans l'entreprise en mêlant les fonctions de contrôle du président et les fonctions de direction générale. Créée par le régime de Vichy, la fonction s’est répandue dans les années 1970-1980. Elle signe la mort de l’entrepreneur.

L’article 1 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 donne la feuille de route du progrès : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »

Deux-Cents ans après la révolution française, la République a ancré dans les esprits que le droit de vie et de mort du seigneur sur son serf était insupportable. Il est temps de voir que la domination de la société commerciale sur l’entreprise n’a aucun fondement légitime et que les associés ou les actionnaires bénéficient d’une distinction sociale sans rapport avec leur utilité commune réelle mesurée avec la clef de répartition K.

Le mouvement des entreprises de France

Le Medef prétend être le mouvement des entreprises de France alors qu’il n’est que le conseil national du patronat français qui avance masqué au service de la société commerciale. Avec les exonérations de cotisation patronale, avec les réformes des retraites, avec les "aides aux entreprises", avec leur travail tout simplement, les salariés ont apporté beaucoup de capital à l’entreprise et le volume des emprunts affiche une énorme promesse d’apport.

Il est temps que les organisations syndicales soient reconnues comme le véritable mouvement des entreprises et que le personnel politique de gauche en prenne acte.

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Article 2
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
** Article 17
1. Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité, a droit à la propriété.
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété.