"Pourquoi l’industrie française s’est-elle affaissée depuis plus d’une décennie ? Est-ce inéluctable ? Comment renforcer notre appareil productif, industriel, mais aussi agricole ? Quel doit être notre conception de l’entreprise ? Quel rôle pour les salariés et les partenaires sociaux ? La robotique et le progrès technologique nuisent-ils à l’emploi ? Comment lutter contre la rente ? Le risque est-il une valeur de gauche ?" (Etats Généraux du Parti Socialiste)
Parmi les questions posées pour inviter à contribuer sur le sujet de l’entreprise, deux questions sont centrales :
- Quel doit être notre conception de l’entreprise ?
- Quel rôle pour les salariés et les partenaires sociaux ?
Elles sont placées symboliquement entre trois questions portant sur la désindustrialisation et trois questions qui suggèrent que l’innovation serait le moteur et le risque, la voie.
C’est de l’entreprise que vient la richesse. La conception qu’on en a est essentielle pour légitimer un partage de cette richesse qui permette à chacun de vivre, de faire vivre sa famille et de construire un monde propice à l’intégration dans la société des Hommes, au progrès social personnel de chacun.
Le mouvement des entreprises de France (Medef)
Conseil national du patronat français (CNPF), le mouvement patronal a bien compris qu’il lui fallait cacher la défense de ses intérêts particuliers, sa raison d’être. En pleine réforme des 35 heures, il s’est donné un nom qui affiche une préoccupation plus altruiste que la défense particulière de ses mandants.
Depuis cette époque, le dialogue social s’est déplacé de l’opposition entre les intérêts de deux catégories sociales (patrons-salariés) vers l’opposition entre l’entreprise et les salariés, ceux-ci étant bien sûr mus par leur égoïsme corporatiste. Le patronat n’existe plus. Ses intérêts particuliers ont disparu et c’est l’intérêt général qui exige l’acceptation des efforts nécessaires des salariés.
Le CNPF a bien compris l’intérêt de disparaître en voyant l’efficacité qu’a eu le théorème de Schmidt sur le partage de la richesse et l’affaiblissement des organisations syndicales. Et la volonté du gouvernement Jospin de réaliser la réforme des 35 heures a produit le choc nécessaire à cette transformation.
Le paysage en est changé. Le Medef représente l’entreprise et travaille au bien commun puisque l’entreprise est le lieu où la richesse à partager se crée. Les organisations syndicales ne représentent que leurs membres, aux intérêts particuliers, corporatistes. La lutte des classes n’existe plus. Le temps de la responsabilité est venu.
La propriété sur l’entreprise
L’entrepreneur a mis de l’argent dans des équipements. A chaque exercice (une année), il achète des fournitures et du temps de travail pour produire et vendre. A partir du total des ventes, une fois payé les fournitures, les salaires et les impôts, mis de côté de quoi renouveler ses équipements, il fait un profit qu’il s’attribue naturellement. Il est propriétaire de l’entreprise.
C’est le mythe de l’entrepreneur. En réalité, dès qu’il a constitué son entreprise, l’entrepreneur l’endette et c’est le travail qui rembourse cette dette. Dans le bilan, le capital social dont est propriétaire l’entrepreneur ne représente plus qu’une part de la richesse de l’entreprise.
Au début du premier exercice, à côté du capital social, le bilan affiche au passif le travail futur qui remboursera la dette. A la fin de l’exercice, la richesse de l’entreprise vient du capital social apporté par l’entrepreneur, le travail passé des emprunts remboursés, des dotations aux amortissements et des résultats non distribués, ainsi que le travail futur des emprunts à rembourser.
Quand l’entrepreneur est seul à travailler, il est seul propriétaire de l’entreprise, comme investisseur sur le capital social et comme travailleur sur le reste du bilan.
Quand la production est assurée par tout un collectif de travail, l’entrepreneur n’est propriétaire que du capital social et, s’il travaille aussi, d’une part de la propriété du collectif de travail sur travail passé et travail futur.
Au cours de l’exercice, il peut aussi demander la rémunération de la caution qu’il a donnée pour que l’entreprise obtienne crédit auprès des prêteurs. C’est une ligne à rajouter au compte d’exploitation.
L’entrepreneur, souvent, recouvre une réalité plus collective avec des associés ou des actionnaires. Dans ce cas une société est formée. La société représente donc les intérêts de l’entrepreneur, des associés ou des actionnaires. Elle apporte à l’entreprise le capital social. Le reste de la richesse de l’entreprise appartient au collectif de travail.
Cet examen de la propriété sur l’entreprise est la base la plus seine pour prendre en compte la contribution de chaque facteur de production et pour assurer une indépendance plus propice à son développement durable.
Une entreprise émancipée de la société
Les intérêts de l’entreprise ne sont pas forcément ceux de la société.
Patrick Arthus explique très bien ce qu’il appelle la spécificité française : des PME réussissent, mais elles sont en majorité absorbées par de grands groupes qui recherchent leur marché, leur technologie, etc. Les propriétaires des sociétés qui les financent engrangent une plus-value opportuniste et détruisent ainsi l'industrie française.
La soumission de l’entreprise à la société, compte tenu des exigences de rentabilité exigées par les associés ou les actionnaires, ne permet plus d’assurer la sécurité des salariés ni la pérennité des entreprises. Les salariés n’accepteront pas l’extension de l’insécurité sans s’approprier le pouvoir de décision correspondant à leur contribution à la richesse de l’entreprise.
La clef de répartition entre capital et travail est fonction du poids du capital social dans le bilan. Elle détermine la part de chaque facteur de production dans la répartition du résultat et celle des sièges au conseil d’administration.
L’entreprise doit acquérir une personnalité juridique conduite par le conseil d’administration formé pour partie de représentants de la société (selon la clef de répartition) et pour partie (au complément) de représentants du collectif de travail.
Entreprise et ré-industrialisation
L’industrie française a énormément souffert des exigences de rendement imposées par « les investisseurs » qui s’attribuent toute la richesse produite par le travail et la détourne vers la spéculation.
La désindustrialisation n’est pas inéluctable puisqu’elle est le résultat d’une volonté politique qu’il est possible de changer.
La gouvernance qui en est la cause doit être réformée de façon à reconnaître les facteurs de production selon leur contribution à la richesse de l’entreprise.
Pour renforcer notre appareil productif, industriel, mais aussi agricole, il faut impliquer le collectif de travail dans les décisions selon la part du travail dans la richesse de l’entreprise.
L’entreprise doit être une personne morale indépendante de la société des associés ou des actionnaires.
Le président de cette société ne peut pas conduire l’entreprise. Son rôle est de défendre les intérêts de la société et de ses membres. Le conseil d’administration est formé des représentants de la société et des salariés élus par le collectif de travail. L’équilibre entre société et collectif de travail est fixé par la part de chaque collège dans la richesse de l’entreprise mesurée par le bilan. Il nomme le directeur général.
Le progrès technologique peut perturber l’emploi au niveau d’une entreprise ou d’un secteur industriel. C’est la qualité de la gestion prévisionnelle au niveau de l’entreprise, du secteur, mais aussi du territoire que cette incidence ne sera pas un drame pour les personnes.
La reconnaissance de la contribution de chacun, travail ou capital, est le meilleur frein à l’apparition et la persistance des rentes.
Le risque n’est pas une valeur. Elle est présentée comme tel par les rentiers qui ont souvent hérité du patrimoine qui les fait vivre. Cette présentation alimente le mythe du gagneur, du plus fort. Le risque est le lot de toute initiative. C’est l’initiative qui est une valeur de gauche que la protection sociale doit développer.
Le monde des petits-enfants de Keynes
Avec l’augmentation de la productivité obtenue grâce au progrès technologique et à l’augmentation des qualifications et des savoir-faire sera un jour suffisant pour rendre les Hommes seuls face à eux-mêmes, oisifs et riches. En socialisant, au niveau de chaque entreprise, la répartition des richesses et des décisions, la quantité d’emploi ne sera plus un problème.
"Trois heures par jour et une semaine de quinze heures constitueront une transition utile pour commencer." écrit John Maynard Keynes dans sa lettre à ses petits-enfants.
Dans un monde libéré du problème économique, l’Homme se trouvera face à son véritable problème : "quel usage faire de ma liberté, comment vivre sagement et agréablement, comment vivre bien ?"