"Plutôt que de se demander quel serait l'intérêt d'un revenu attribué à tout individu quelle que soit sa situation, revenu qui risque d'être insuffisant pour des millions de personnes, mieux vaut s'interroger sur les raisons" de cette si grande inégalité des salaires. La valeur ajoutée est utilisée pour alimenter les salaires (2/3) et les profits (1/3). Dépendant totalement de l'employeur, le travail subit une telle pression que les exclus sont de plus en plus nombreux et les salaires de plus en plus contraints pour augmenter les profits confisqués par le capital. "En s'attaquant à ce coût du capital, on peut créer les conditions pour que tout un chacun participe à la création de richesses." [Pierre Ivorra]
"Avec un financement fiscal, [le revenu universel] constitue une aubaine pour les entreprises qui disposeront d'une main-d'œuvre à laquelle imposer petits boulots et autoentrepreneuriat! C'est le marché du travail qu'il faut supprimer, et cela passe par un changement du statut économique des personnes qui fasse du salaire un droit politique." [Bernard Friot]
L'Humanité des débats des 12, 13 et 14 février 2021,
Trois courants de la gauche échangent ici: la sénatrice Génération.s avance la redistribution fiscale des revenus primaires pour alimenter le revenu universel inconditionnel; le chroniqueur de l'Humanité reste dans la vision marxiste de la lutte entre salariés et employeurs pour s'attribuer la plus grande quantité de valeur ajoutée, coût du capital (profit) contre coût du travail (salaires); le sociologue et économiste milite pour la socialisation de la valeur ajoutée et la propriété d'usage des travailleurs sur leur outil de travail.
Partager les richesses, c'est distribuer le PIB entre tous les travailleurs-citoyens à partir de l'âge de 18 ans jusqu'à la mort. Mais, comme le cultivateur avec la part des récoltes qu'il garde pour replanter, comme l'éleveur garde une part de ses animaux pour la reproduction du troupeau, le travailleur doit cotiser sur son salaire pour dégager avec ses pairs l'investissement nécessaire à l'entretien des outils de production, à leur renouvellement et à la mise en place de nouveaux pour rendre plus efficace la production et pour inventer et produire de nouveaux biens et services.
La valeur ajoutée appartient à ceux qui la produisent. Au niveau de chaque entreprise, le profit est la contribution du collectif de travail aux ressources de l'entreprise. La société d'actionnaire ne possède que le capital social, le reste des ressources de l'entreprise est apportée par le collectif de travail au fil des exercices. Le gouvernement de l'entreprise doit refléter les contributions respectives de la société d'actionnaires et du collectif de travail.
Le seuil de pauvreté étant une valeur statistique calculée par rapport à la médiane des salaires, il n'est pas possible d'élever la limite inférieure sans baisser la limite supérieure. Les salaires (tout le PIB) devront donc être gérés par les travailleurs-citoyens. Mais, c'est le miracle de la production, en général un bénéfice est dégagée et les salaires ne sont pas les seuls revenus: sur le bénéfice, une fois retiré le report à nouveau qui alimente les fonds propres, des gratifications peuvent être distribuées: les primes pour les salariés et les dividendes pour les actionnaires.
Avec cinq niveaux de qualification, une carrière de 42 ans de 18 à 60 ans qui double à 60 ans le salaire initial et une pension égale au dernier salaire atteint, l'échelle des salaires bruts peut être calculée à partir du PIB (2286Md€ en 2019). Quant aux gratifications, en respectant les habitudes prises, 200Md€ peuvent être distribués. Les revenus individuels (salaires et gratifications), les cotisations (profits et santé) seraient les suivants:
Si la distribution des salaires est très resserrée par rapport à celle produite par le marché du travail (un à trois et demi), la distribution des gratifications est très inégalitaire avec une moyenne annuelle de 39500€. Les impôts sur les salaires peuvent alors être proportionnels, ceux pesant sur les gratifications doivent être progressifs.
Il n'est plus possible de rester dans les marges du pouvoir à réclamer de la justice par l'impôt (revenu universel inconditionnel) ou même dans le partage de la richesse (lutte salaires-profits). Il est temps pour que le projet de la gauche vise à:
- la reconnaissance de la contribution du travail aux ressources de l'entreprise par la propriété d'usage du collectif de travail sur les ressources hors capital social - la propriété est un droit constitutionnel qu'il faut respecter;
- la reconnaissance du travail effectué hors emploi;
- la reconnaissance de la qualification et de l'expérience, des qualités propres à chacun et utiles à la société;
- la reconnaissance conditionnée aux bénéfices et donc ponctuelle des droits à gratification (dividendes et primes), et donc l'impossibilité de les pérenniser dans un salaire;
Ce projet doit donc porter l'institution d'un statut de l'entreprise distinct de celui de la société d'actionnaires dont l'objet doit se limiter à la défense des actionnaires. Le conseil d'entreprise gouverne l'entreprise, le pouvoir étant partagé entre la société d'actionnaire et le collectif de travail. Une entreprise ne peut être vendue, seul le capital social peut l'être.
Les collectifs de travail produisent le profit qui permet de renforcer l'entreprise pour l'avenir, ils en sont propriétaires. L'avenir de la société ne peut pas rester soumis au bon vouloir d'individus pilotés par leur seul intérêt. Le collectif de travail est la partie la plus susceptible de promouvoir le caractère soutenable à l'intérieur de l'entreprise, la soutenabilité de l'entreprise pour elle-même comme pour son environnement.