16 nov. 2020

Pour une économie républicaine qui intègre égalité et fraternité

"Depuis la peste d’Athènes au Ve siècle avant notre ère jusqu’au Covid-19 aujourd’hui, les crises sanitaires et épidémiologiques constituent un moment de vérité pour les institutions. Loin d’entraîner toujours chaos et désorganisation, elles ont été souvent l’occasion, comme la guerre, d’un renforcement des structures étatiques." [Le Monde, 23/10/2020]

Avec intelligence, contrairement au plan Sarkozy contre la crise économique de 2008, le chômage partiel a été mis en place rapidement pour garder les salariés dans l'emploi. "Le chômage partiel, c’est la nationalisation des salaires [et] le Fonds [de soutien aux entreprises] de 50 milliards allemand, le fonds de 20 milliards français […] ça s’appelle une nationalisation du compte d’exploitation des commerçants et entrepreneurs." a déclaré Emmanuel Macron lors d’une interview accordée au quotidien britannique Financial Times. Mais il s'agit de nationalisation des charges, pas des actifs. "Les profits pour le privé (les 10%), les pertes pour le public (les 90%)!".

Pendant le confinement du printemps 2019, les premiers de corvée ont montré à quel point la valeur qu'accordait la société à leur activité était éloignée de la valeur économique qu'elle lui attribuait: les personnels de santé qui manifestaient depuis des mois pour l'investissement dans les institutions de santé, les embauches et la revalorisation de leurs salaires.

En confondant travail et emploi, on ignore une difficulté: les retraités catégorisés comme inactifs sont pourtant présents dans la garde de leurs petits-enfants pour permettre à leurs enfants de travailler; ils constituent l'ossature des associations qui permettent à l'Etat de se dédouaner dans le soulagement de la pauvreté. Faudra-t-il supporter l'arrêt de ces activités?

"La France s’enfonce un peu plus dans la crise économique et sociale, sans perspective de sortie de l’épidémie de Covid-19. Pourtant, à l’occasion de la présentation de son plan pauvreté le 24 octobre, le gouvernement est encore apparu lent et timoré pour venir en aide aux plus précaires, qui sont les premiers touchés par la récession." [Alternatives économiques, Manuel DomergueUn plan pauvreté laborieux le 26 octobre 2020]

Ce n'est plus de pouvoir d'achat et de rémunérations descentes qu'il est question de revendiquer maintenant, c'est de propriété de la valeur ajoutée. C'est le travail qui produit la valeur ajoutée, celle-ci doit revenir aux travailleurs. Et l'emploi ne sait plus définir le travail, tant d'activité est menée en dehors de tout emploi: en bénévolat; la retraite n'est pas une période d'inactivité?

Dans le travail, qu'est-ce qui a de la valeur?

La qualification et l'expérience appartiennent à la personne. Elles affichent les qualités propres que la personne met dans son travail au travers d'un niveau de qualification et de l'expérience obtenue au fil  d'un temps d'exercice au service de la collectivité, hors cercle privé moins social - l'Homme est un animal social avant tout. L'institution "Education nationale" est obligatoirement impliquée dans l'évaluation des  organismes de formation et des qualifications, ainsi que dans la définition des parcours.

La qualification pivot est celle qui est obtenue à la fin de sa scolarité en lycée: le Bac. Ne pas avoir le Bac est le niveau 1, le Bac est le niveau 2. L'Europe a décrété trois niveaux universitaires: L (licence Bac + 3), M (master Bac + 5) et D (doctorat Bac + 8). On obtient ainsi 5 niveaux de qualification qui peuvent être obtenus par formation initiale entre 3 et 25 ans sans interruption. Mais la formation initiale n'est pas le seul parcours qui permet un niveau de qualification supérieur, il y a aussi la formation continue et la validation des acquis de l'expérience (VAE).

La formation continue est accessible à toute personne après une interruption de sa formation initiale, à n'importe quel âge. Le parcours de formation nécessaire à l'obtention d'un niveau de qualification donné par formation continue, comme pour la formation initiale, est attribué par l'éducation nationale, dont l'université est un élément.

La validation des acquis de l'expérience consiste à compléter l'expérience reconnue acquise au cours d'un parcours laborieux au service de la collectivité par la formation continue jugée nécessaire à l'obtention du niveau de qualification supérieur. Cette formation nécessaire est déterminée conjointement entre l'environnement professionnel du candidat et l'éducation nationale, le niveau de qualification est attribué par l'éducation nationale.

La mesure de la qualification n'est pas figée et doit pouvoir évoluer par consensus. L'expérience complète la formation, mais ne peut pas à elle seule attribuer une qualification supérieure. Il est trop difficile d'éviter le copinage, le cousinage, si souvent invoqués à l'occasion de la promotion "hors norme", cachés derrière les discours sur la compétence..

Quelle valeur économique attribuer à la qualification et à l'expérience?

Pour que la société produise suffisamment et que le travail soit le plus efficace, il faut encourager chaque citoyen à améliorer sa qualification et à se mettre au service de la collectivité dans la force de l'âge, entre 18 et 60 ans pour acquérir de l'expérience:

  • chaque citoyen (à partir de 18 ans) touche un salaire, qu'il travaille dans son cercle privé ou au bénéfice de la collectivité: entreprise, administration, association reconnue d'utilité publique, formation; ces situations sont des situations d'emploi;
  • les cinq niveaux de qualification sont valorisés dans une échelle de 1 à 5, la qualification suivante 20% supérieure à celle qui la précède;
  • la valeur de l'expérience à 60 ans vaut le double de celle à 18 ans pour une qualification donnée et pour une carrière complète, la croissance étant linéaire;
  • à 60 ans, chaque citoyen peut continuer à exercer au service de la collectivité, son salaire reste au niveau qu'il a atteint;
  • le PIB de l'année est réparti entre tous chaque année.

Qu'apporte à la société cette distribution sociale des richesses nouvelles de l'année?

Chaque année les salaires sont calculés en fonction du PIB, c'est le plus efficace outil de résilience sociale qui soit. Les dispositifs actuels montrent bien leur fragilité: fin de droit pour les chômeurs, absence de droit pour les indépendants, aléas des marchés, insuffisance des secours, etc. Ils prennent de plein fouet les crises économiques jettent un grand nombre de citoyens dans la pauvreté.

La crise économique due à la pandémie et au confinement du printemps n'a épargné que 40% des citoyens. Là, la baisse de 10% annuel produite par ce confinement aurait été répartie entre tous les citoyens par une baisse de salaire de 10%, tous auraient contribué. Cela aurait évité à l'Etat d'emprunter des sommes folles et de renforcer encore le pouvoir des banques et institutions financières.

Seul le risque sur la santé (maladie et dépendance) devrait être couvert par une cotisation sur le salaire brut de chacun. Payé à partir de 18 ans, plus de risque de chômage (l'absence d'emploi après un an de recherche arrête la croissance du salaire) et plus de risque vieillesse (après 60 ans, quel que soit le cadre de son travail - privé ou collectif - le salaire cesse de croître, mais reste fixé à son dernier niveau).

Chacun cotiserait 1/3 de son salaire en investissement (part actuelle des profits dans la valeur ajoutée). Là encore le système protège contre le risque social que fait courir le pouvoir financier dans sa recherche des placements des plus rentable qui finissent en rentes favorisant l'oisiveté et le parasitisme chez les plus riches qui n'ont eu pour seul mérite, la plupart du temps, que d'être né dans une famille riche.

Enfin, la sécurité apportée par le salaire universel permettrait à chacun de s'investir sans arrière pensée dans une œuvre collective, de créer et de développer l'entreprise susceptible de déployer ses talents et de mobiliser le travail dans les emplois qu'il créerait en permettant à ses concitoyens de développer leur carrière.

Que pèse cette distribution sociale des richesses nouvelles de l'année sur les entreprises?

Chaque entreprise alimenterait la caisse des salaires de deux tiers de leur valeur ajoutée et la sécurité sociale de 15% sur le tiers qu'elle garde. La compétitivité de chaque entreprise est la même, le travail n'est plus un élément de concurrence.

Globalement, le "coût du travail" en France est de 2/3 du PIB; le coût de la santé de 15% et évolue selon les besoins; le poids de la vieillesse n'apparaît plus, leur activité n'est plus soumise à un emploi, la retraite disparaît; la privation d'emploi n'est plus une catastrophe; les citoyens restent actifs.

Mais pour que ce modèle de société soit accepté, il faut que la propriété du collectif de travail sur la valeur ajoutée soit reconnue. Et cette exigence doit être reconnue au sein de chaque entreprise, dans ses statuts.

Quel statut de l'entreprise nécessite cette distribution sociale des richesses nouvelles de l'année?

Actuellement, le droit ne distingue pas l'entreprise de la société d'actionnaire et celle-ci s'attribue toute la valeur ajoutée dont elle concède une partie pour payer le collectif de travail. Seule la société d'actionnaires dispose d'un statut juridique, ni le collectif de travail, ni l'entreprise n'ont aucune existence légale.

Cette déficience du droit permet pourtant d'user du mot entreprise pour priver les collectifs de travail de la valeur ajoutée qu'ils créent: ce seraient les entreprises qui créeraient les richesses, qui créeraient le travail par les emplois qu'elles mettent sur le marché. Et qui serait propriétaires des entreprises? Ce serait les sociétés d'actionnaires qui n'apportent pourtant que le capital social, moins d'un tiers des ressources en moyenne.

La contribution du travail aux ressources de l'entreprises: 1/3 de la valeur ajoutée en moyenne qui sert à réparer les actifs (amortissements) et à rembourser les dettes, à produire le résultat utilisé en gratifications divers (dividendes pour les actionnaires, primes aux salariés) et en report à nouveau (augmentation des fonds propres) à chaque exercice.

Le collectif de travail a une légitimité à revendiquer la propriété d'usage sur les ressources, hors le capital social. Ce n'est pas violer le droit sacré et inviolable de la propriété privée (article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 à laquelle se réfère la constitution) que de reconnaître cette propriété d'usage au collectif de travail (droit de propriété collectif).

Qu'est-ce qu'une économie républicaine qui intègre égalité et fraternité?

Notre société est républicaine: "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée." [Article 1er de la Constitution de la république française du 4 octobre 1958].

Notre économie est aristocratique, chaque "entreprise" n'a qu'un seul maître qui décide de tout, le patron. C'est lui-seul qui décide d'organiser ou pas le télétravail rendu nécessaire et vital aujourd'hui,. Obligation en période de Covid-19, le télétravail peine à s'imposer pour les travailleurs qui pourraient l'adopter, "C'est le patron qui décide, il faut négocier.".

Le patron, monarque absolu surpayé pour un travail qui n'en a pas la valeur, sauf de servir servilement les intérêts des actionnaires. Quand les résultats obtenus sont importants, il est juste de distribuer des gratifications. Mais rien ne justifie de graver ces gratifications dans des salaires à vie exorbitants..

Les travailleurs s'impliquent plus ou moins. Certains prennent plus de responsabilités que d'autres et ces responsabilités sont plus ou moins grandes. Mais il faut évaluer ces responsabilités à l'aune des résultats. Si les actionnaires ont plus ou moins de voix dans la société d'actionnaires, les travailleurs doivent avoir une voix chacun. Leur formation et leur information sur l'entreprise doivent être les plus complètes.

"Lors de la clôture de chaque exercice annuel, une société commerciale doit obligatoirement déposer ses comptes sociaux au registre du commerce et des sociétés (RCS), afin d'en garantir la transparence. À réception par le greffe, les comptes annuels font l'objet d'une publication au Bodacc (Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales)" [Service Publique]

La gauche a de la matière pour se présenter aux citoyens lors des élections présidentielles et législatives de 2022.

Cette matière est constituée de la revendication de l'égalité des droits:

  • à rémunération de ce que l'on est (qualification) - actif tout au long de sa vie, chacun agit dans la société en mettant en œuvre la qualification qu'il s'est donné et se construit tout au long de sa vie ;
  • à rémunération de ce que l'on fait (expérience) - mettant son travail au service du collectif (dont l'emploi), chacun peut se construire une carrière doublant le salaire initial entre 18 et 60 ans;
  • à appuyer sa qualification en s'appuyant sur son expérience;
  • à créer une entreprise sans mettre en danger sa qualité de vie personnelle et celle de sa famille;
  • à s'exprimer sur la place publique sans risquer "d'être puni" par des policiers dressés contre la criminalité (la BAC);
  • à faire entrer la république au sein de l'entreprise en lui donnant un statut distinct de la société d'actionnaire et reconnaissant la contribution constitutive du collectif de travail;
  • à poursuivre l'objectif républicain de liberté, d'égalité et de fraternité dans tous les territoires.

Mais je suis intimement persuadé qu'à droite, de nombreux citoyens que la gauche rebute sont prêt à accompagner ce mouvement. L'initiative individuelle, la sécurité financière personnelle, l'efficacité économique, la robustesse contre les crises, etc. doivent pouvoir en mobiliser un certain nombre.