25 nov. 2020

Le conflit revenu de base / salaire à vie

Le revenu de base a été popularisé au cours de la campagne des élections présidentielles en 2017 menée par Benoît Hamon. Il manifeste la volonté générale de sécuriser les revenus de tout le monde et de sortir des mécanismes compliqués mis en place par notre Etat social pour assurer un minimum de solidarité; mais cet Etat social ne parvient pas à rendre inutile la charité qui grandit ceux qui font la charité, mais abaisse ceux qui en bénéficient.

A droite comme à gauche, tout le monde plaide pour le revenu de base: à droite pour supprimer le pognon de dingue dépensé en dépenses sociales, à gauche pour simplifier la vie des bénéficiaires des dispositifs sociaux,  tous ceux ceux qui y pourraient prétendre, y compris ceux qui souvent ne sollicitent rien.

Adoucir les inégalités ou les éradiquer?

Notre société a construit un Etat social qui adoucit les inégalités mieux que les autres pays et diminue de 8 points le taux de pauvreté à 60% du niveau de vie médian.

Un Etat social français plus efficace que celui des autres pays.

Mais cet Etat social coûte "un pognon de dingue" dit le président de la République française, Emmanuel Macron:  la protection sociale pèse 32,1% du PIB.

Le poids de la protection sociale dans le PIB en France représente presqu'un un tiers du PIB.

Les risques couverts par la protection sociale sont les suivants: maladie, invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles, vieillesses-survie, famille, emploi, logement, pauvreté-exclusion.

Tant qu'il y aura des pauvres, ils coûteront trop cher. Cet Etat social financé par redistribution de revenus primaires coûtera toujours trop chère et sera toujours vécue comme une ponction par les plus riches. La gauche en général adhère au revenu de base pour sécuriser la protection sociale, mais ne parvient pas à en fixer un montant suffisamment au-dessus du seuil de pauvreté (60% de la médiane des revenus).

Ce revenu de base alimenté par la redistribution se heurte au même contre-argument que celui qui pèse sur la protection sociale: celui de coûter "un pognon de dingue". Corriger la distribution des revenus par la redistribution coûtera toujours trop cher.

Les hauts revenus sont confiscatoires.

La France finit cette deuxième décennie du 21ème siècle avec un revenu avoisinant les 2300Md€ (INSEE).

L'observatoire des inégalités place le seuil de richesse à 3470€ par mois pour un adulte seul (Rapport sur les riches), la population des riches compte un peu plus de 5M de personnes (presque 10% de la population française adulte). Ces personnes touchent un quart des revenus annuels. Les 90% autres se partagent les trois quarts seulement.

Le seuil de pauvreté (50% du revenu médian) est évalué autour de 870€ par mois pour un adulte seul. Pour éradiquer la pauvreté, il faut rapprocher la médiane des revenus (1735€) de la moyenne (autour de 3350€), donc réduire un éventail des revenus trop large. Sans en faire un bouc émissaire - il profite du système existant - le salaire annuel de Bernard Arnaud approche les 10M€ et son patrimoine 100Md€ (le patrimoine médian est de 163K€). La différence est telle qu'il est impossible de se la représenter.

Ce que peut l'économie.

C'est l'emploi qui définit le travail aujourd'hui et le marché du travail prive 10% des citoyens d'emploi et tient le salaire moyen très éloigné du salaire médian pour assumer un petit nombre de salaires exorbitants.

Les niveaux atteints par les très hauts salaires n'ont aucun sens pour la plupart d'entre nous. Nous ne comprenons pas à quel point la richesse annuelle créée en France est importante et nous acceptons bien vite l'individualisation des salaires et leur modération, nous acceptons bien vite l'augmentation de l'âge de la retraite et les réformes de diminution du taux de remplacement des salaires par les pensions: "on n'a plus d'argent" entend-on, "la société vieillit et les actifs ont de plus en plus d'inactifs à entretenir!".

Pour éclaircir notre vision, il faut remplacer la loi de la jungle à laquelle nous soumet le marché du travail, celle qui pousse la multitude de mauvaises conditions de travail sans protection sociale pour de petits salaires. C'est bien le travail qui produit les fonds nécessaires à alimenter nos revenus et les profits aujourd'hui accaparés par les entreprises: le PIB est la somme des valeurs ajoutées (salaires et profits) de tous les centres de production (biens et services, privés et publics).

Les salaires actuels mélangent la reconnaissance de la qualité intrinsèque des personnes (qualification et expérience) et leur implication (gratifications. Pour les très hauts-salaires, tout se passe comme si l'implication et la responsabilité de leur titulaire produisait une gratification gravée dans le marbre sous forme de salaire mirobolant.

Nous ne comprendrons la réalité du revenu national qu'il est possible de distribuer qu'au travers d'une répartition non marchande reconnaissant la qualification (5 niveaux: en-dessous du bac, bac, licence, master et doctorat) et l'expérience (travail mis au service d'une œuvre collectives (entreprise, administration, association, etc.).

L'hypothèse retenue est un écart de 20% entre deux niveaux de qualification adjacents et un doublement du salaire initiale au cours de la carrière de 18 à 60 ans. A partir de 18 ans, chacun est positionné dans un niveau de qualification qu'il peut faire évoluer par formation initiale ou continue ou par valorisation des acquis de la connaissance tout au long de sa vie. Chaque année en emploi le salaire évolue sur la courbe linéaire qui double à 60 ans le salaire à 18 ans de la qualification courante. A partir de 60 ans, le salaire n'évolue plus même dans le cadre d'un emploi.

Le salaire mensuel de chacun pour chaque année dépend du PIB (la somme des valeurs ajoutées), de la démographie (population et âge de chacun), ainsi que de la qualification et de l'avancement dans sa carrière. Quand le travail quitte son cadre d'emploi (après un an), le salaire est figé à son niveau atteint. C'est le PIB qui fixe la valeur du salaire de chacun. En cas de crise tout le monde contribue, puisqu'alors le salaire de chacun diminue, mais la valeur de l'expérience continue à évoluer si le cadre du travail reste l'emploi.

Ici, tous les revenus distribués à partir du PIB sont des salaires. 

Calcul du salaire de chacun compte des paramètres collectifs et individuels.

La répartition faite en 2019, compte tenu du PIB (Insee) et de la distribution démographique (Ined), avec l'hypothèse d'un travail universellement réalisé dans le cadre d'un emploi (hypothèse la plus défavorable aux niveaux des salaires individuels), l'éventail des salaires serait le suivant*:

Répartition des salaires compte-tenu du PIB et de la démographie en 2019

La pauvreté (50% du salaire médian = 1875€) et la richesse (2x le salaire médian = 7500€) se rapprochent du minimum et du maximum de salaire brut, mais le modèle présenté ici ne les éradique pas.

Plus de risque chômage ni de risque vieillesse si chacun dispose d'un salaire, plus de dépendance des uns vis à vis des autres soumis à l'existence d'un emploi pour gagner sa vie, plus de mise en danger de sa vie et de celle de sa famille dans l'aventure de la création d'entreprise.

Mais il faut que nous assurions collectivement la bonne santé de chacun (risques maladie et dépendance) et l'investissement pour reproduire la production des revenus (de la même manière que l'agriculteur qui ne consomme ni vend toute sa récolte pour assurer les récoltes suivantes).

  • La santé coûte 12% du PIB en France. Supposons que sa part monte à 15%, Chacun doit cotiser 15% pour couvrir les frais de médecine de tous. Cette cotisation doit porter sur les salaires bruts.
  • Chaque année, 1/3 du PIB est dépensé en profits, plus de 750Md€ (moins la cotisation santé), dont seulement 450Md€ donnent lieu à investissement, les 300Md€ restants étant distribués en report à nouveau (mise en fonds propres), primes (pour les salariés) et dividendes (pour les actionnaires). Hors les reports à nouveau, ces Md€ sont des gratifications sans limite supérieure autre que le résultat de l'exercice. France Telecom a distribué quatre fois plus de dividendes que son bénéfice en 2009, "année des suicides".

Le modèle qui permet de mettre la richesse de notre pays à taille humaine instaure le salaire à vie. Il donne valeur économique à la qualification et à l'expérience sans changer la production de profits (investissement et gratifications). Il resserre l'éventail des salaires, mais ne permet pas d'éradiquer pauvreté et richesse. 

Dépasser le conflit entre revenu de base et salaire de base.

Quelle fonction aurait le salaire de base dans ce modèle de distribution du PIB (on peut dire salaire puisque tous les revenus distribués à partir du PIB sont des salaires dans notre modèle)?

En introduisant un paramètre de salaire de base, on diminue l'éventail des salaires et son augmentation accentue cet effet. Mais dès 500€ de salaire de base, la pauvreté en salaire disparaît, ainsi que la richesse.

Effet de l'introduction et de l'augmentation d'un salaire de base

A supposer que l'on retienne 1/3 des résultats d'exercice pour le report à nouveau, il reste 200Md€ à répartir en gratifications (dividendes pour les membres de la société d'actionnaires et primes pour les membres du collectif de travail). Cela ferait une moyenne de 15K€ de dividendes pour chaque actionnaire (bien sûr beaucoup moins pour la plupart) et indépendants et 2K€ de primes pour chaque adulte (probablement réparti de façon très différenciée compte tenu du management).

En ce qui concerne les impôts, ils doivent couvrir toute la dépense publique pour que les dettes de l'Etat ne servent qu'à produire de l'investissement et plus à combler les déficits. Les salaires sont suffisamment semblables pour être imposés de façon proportionnelle, par contre, les gratifications comme les reports à nouveau doivent être calculés sur une courbe progressive pour prendre en compte leur extrême diversité.

Ce modèle explicite la contribution du travail aux ressources des entreprises par cotisation des profits. Il montre combien le modèle d'entreprise ignore cette contribution. Il montre combien il est nécessaire de donner à l'entreprise un statut distinct de celui de la société d'actionnaires et d'en faire un bien commun à la société d'actionnaires et au collectif de travail.

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* L'auteur prie son lecteur de ne pas lui tenir rigueur des erreurs faites sur les chiffres dues à un défaut d'accès aux données de répartition démographiques des qualifications.