28 avr. 2020

Les trois piliers de la justice sociale en France

Chaque pays européen a organisé la justice sociale selon son histoire. En Angleterre, l'Etat n'intervient que pour empêcher la justice de contester les accords signés employeurs-salariés, mais exerce un contrôle total sur les solidarités face aux risques de la vie, la santé particulièrement. En Allemagne, l'Etat garantit une collaboration sur un pied d'égalité entre employeurs et salariés, les salariés interviennent dans le gouvernement de l'entreprise et la négociation collective s'exerce par branche. En France, l'Etat social repose sur trois piliers: le droit du travail, la sécurité social et le service public.

La présidence d'Emmanuel Macron poursuit le démantèlement de cet Etat social commencé au début des années 1990 depuis la publication du livre blanc de Michel Rocard sur les retraites.

Le droit du travail

Le droit du travail (le code) organise les relations entre employeurs et salariés selon trois niveaux, l'interprofessionnel constituant le plancher que les conventions collectives peuvent améliorer par branche et qui, elles-mêmes, peuvent être améliorées au niveau de l'entreprise: c'est la hiérarchie des normes.

La loi travail El Khomri (flexibilisation du temps de travail, les bases du futur "compte personnel d’activité", des mesures sur la médecine du travail et des dispositions sur la restructuration des branches professionnelles) intègre l'essentiel du projet de loi dit "Nouvelles opportunités économiques" préparé par Emmanuel Macron.

La réforme du travail Macron (primauté des accords d’entreprise, fusion des instances représentatives du personnel, création du CDI d’opération, mise en place d’une rupture conventionnelle collective, réforme du compte pénibilité) poursuit l'affaiblissement du droit du travail "par le recul de l'ordre public social au profit de la négociation d'entreprise" (voir entretien avec Alain Supiot dans Alternatives économiques).

Aujourd'hui, le pouvoir des actionnaires dans l'entreprise ne trouve plus le contre-pouvoir qui permettait d'assurer aux salariés de bonnes conditions de travail et de sécuriser leur moyen de vie, ainsi que celle de leur famille..

La sécurité sociale

Ambroise Croizat (1901-1951)
La sécurité sociale (le code) "est fondée sur le principe de solidarité nationale" (article 1). "Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain." Telle fut la devise d’Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947, bâtisseur de la sécurité sociale et originaire de Notre Dame de Briançon en Savoie où il naît le 28 janvier 1901. (Mediapart)

"Quatre grands principes, fondements même de l’identité sociale française, feront la charpente de l’institution.
  • L’Unicité : tous "les risques sociaux" (maladie, maternité, vieillesse, accidents du travail...) sont regroupés dans une seule caisse.
  • La solidarité : un système de répartition entre actifs et non actifs, financé par les richesses créées dans l’entreprise, est la pierre angulaire de l’édifice.
  • L’Universalité, sous tendue par l’idée de soigner toute la population et de suivre "dans sa santé, l’individu de sa naissance à son décès".
  • La Démocratie, c’est-à-dire la volonté de confier la gestion de l’institution aux bénéficiaires eux-mêmes."
La première "réforme" de la sécurité sociale (INA) est opérée en 1967 (ordonnances Janneney) assure la séparation financière des risques (santé, vieillesse, famille) et donne la moitié des pouvoirs aux représentants du patronat qui manipule la gouvernance en donnant la conduite de l'organe de gouvernance à FO dans un premier temps, puis à la CFDT. Ces ordonnances suppriment les élections, rétablies par Mitterrand (promesse de campagne), mais jamais renouvelée. Elles auraient constitué une excellente façon de qualifier la représentativité des organisations syndicales au niveau national.

La sécurité sociale n'a jamais acquis son champ complet, elle a toujours dû être complétée par des mutuelles qui se voient imposées des règles marchandes, les assurances étant à l'affût.

La sécurité sociale est victime d'une multitude de "réformes" permettant à l'Etat contrôle budgétaire et contrôle des dépenses, puis avec les politiques dites de compétitivité, un détournement des recettes pour soulager les entreprises et leur "dépenses salariales".
Sources de financement de la sécurité sociale
Les recettes sont de moins en moins fournies par cotisations salariales. La sécurité sociale est étatisée avec un financement alimenté par l'impôt, le budget public ne remplaçant pas le défaut de recettes dû aux exonérations de cotisation sociales.

Le service public 

"Un glissement s’est opéré depuis plusieurs décennies. L’État producteur a certes régressé. L’État investisseur de même. L’État redistributeur a lui aussi été contesté à des degrés divers selon les pays. Mais globalement, les États des pays de l’OCDE n’ont pas reculé en masse financière. On leur a presque partout conféré le rôle de facilitateur des affaires et de grand assureur final des risques économiques qui est allé crescendo. C’est cette fonction d’assurance, sous des formes diverses, qui prend le pas sur toutes les autres depuis des années." (Olivier Passet)

Au privé les bénéfices, au public les pertes. Les Etats doivent sauver les banques, mais en mobilisant le budget, ils creusent le déficit et alimentent une dette qui leur impose des politiques d'austérité.

L'Etat social

Malgré les "réformes" qu'il a subi, l'Etat social français reste l'outil qui corrige le mieux les inégalités faisant passer le taux de pauvreté de 22,2% à 14,0%.
Efficacité de l'Etat social
La crise des surprimes, en 2008, a obligé les Etats à sauver les banques (too big to fail). Elles ont ensuite imposé des politiques d'austérité qui ont si considérablement la population grecque.

La crise sanitaire a montré que le marché était incapable de répondre à tous les besoins sociaux et qu'un service public était nécessaire.pour répondre aux besoins essentiels.