8 oct. 2019

Charité, solidarité, fraternité, le chemin du progrès humain.

Il y a une vingtaine d'année, je me suis fait agresser par la gente catholique de ma ville pour avoir écrit un article pour la solidarité contre la charité. Aujourd'hui, la droite habille ses réformes de solidarité. Et la devise de la République française "Liberté, Egalité, Fraternité" reste lettre morte. La charité est vieille comme le monde, la solidarité est apparue dans la seconde partie du 20ème siècle avec la sécurité sociale, la fraternité est-elle devant nous?

Qu'elle soit fondée sur l'amour de Dieu ou la raison universelle, la charité grandit celui qui la fait. Reine des vertus, forme suprême de toutes les vertus théologales selon Saint Thomas d'Aquin, les  œuvres de miséricorde (nourrir les affamés, désaltérer les assoiffés, vêtir les démunis, soigner les malades, visiter les prisonniers, enterrer les morts) instrumentalisent les affamés, les assoiffés, les démunis, les malades, les prisonniers, pour assurer la voie du paradis ou de la plénitude humaine des rassasiés. Les affamés, les assoiffés, les démunis, les malades, les prisonniers doivent ronger leur amour-propre en acceptant le don sans lequel ils ne pourraient pas vivre.

La guerre, la résistance au nazisme ont créé un grand mouvement pour la solidarité, sentiment de responsabilité et de dépendance réciproque au sein d'un groupe de personnes qui sont moralement obligées les unes par rapport aux autres. La mise en oeuvre de cette solidarité a produit la sécurité sociale, chacun cotisant pour couvrir les dépenses nécessaires pour soigner les malades, assurer des revenus des chômeurs, fournir des allocations aux familles pour l'éducation des enfants et assurer des revenus indexés sur les salaires aux retraités, toute la population devant bénéficier du développement économique. Chacun donnait sachant qu'il aurait à recevoir, chacun recevait sachant qu'il avait donné.

Les indépendants et les agriculteurs ont refusé d'adhérer au système. Les cadres du privé ont failli aussi ne pas adhérer au système qui ne couvrait que la partie de leur salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale. Ils ont inventé la retraite complémentaire AGIRC, les autres salariés ont copié la solution avec l'ARRCO.

Ce système a très bien fonctionné jusqu'à la fin des années 1980, date à laquelle les (contre)réformateurs* Rocard, Balladur, Jupé, Fillon, Hollande et maintenant Macron ont œuvré par exonération de cotisations sur les plus petits salaires, par réforme paramétrique des retraites et maintenant, avec la réforme systémique Delevoye-Macron**. L'étatisation de la sécurité sociale va appauvrir et insécuriser tout le monde avec le mélange des budgets - on pourra baisser le point de rachat des comptes de la retraite pour augmenter le budget militaire par exemple.

Le but déclaré des exonérations de cotisations sociales est d'améliorer la compétitivité des entreprises. Si toutes bénéficient de la baisse des salaires, seule une moitié d'entre elles en ont besoin. En effet, le poids des salaires dans la valeur ajoutée est stable aux 2/3 depuis la fin des années 1980. Les salariés cèdent en moyenne le tiers de la valeur ajoutée qu'ils produisent à leur entreprise pour réparer les actifs, rembourser les avances des banques et investir. Mais la moitié des entreprises n'obtiennent que 25% quand le quart des entreprises bénéficient de 60% de leur valeur ajoutée. Le seul moyen de résoudre le problème de la compétitivité avec cette diversité n'est pas de baisser les salaires (le coût du travail) ce qui appauvri 90% des actifs, mais de mutualiser les salaires par un prélèvement des 2/3 de la valeur ajoutée de chaque entreprise.

Le marché du travail a produit une très grande inégalité et les "gagnants" ont de tels salaires qu'ils appauvrissent le grand nombre. Ils refusent la redistribution et veulent figer les cotisations (14% du PIB pour les retraites, 12% pour la santé, etc.). Nous sommes à la croisée des chemins: retour à la charité ou marche vers la fraternité, sentiment de destinée commune où chacun bénéficie du développement de l'économie, le travail de chacun, même sans employeur capitaliste, bénéficiant à tous.

La redistribution est trop coûteuse? Distribuons en toute fraternité la richesse créée de façon à ce que chacun participe au développement économique et encourageons chacun à mettre son activité au service de projets collectifs (l'emploi): l'emploi doit avoir un intérêt pour mobiliser, l'augmentation du salaire par exemple, par la mise en place d'une carrière qui double le salaire initial entre 18 et 60 ans. La retraite serait un travail sans emploi, la pension serait le salaire de ce travail, au niveau atteint à l'âge de 60 ans à l'issue de sa carrière.
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* La réforme est définie comme "changement dont le but est d'apporter des améliorations".
** La réforme des retraites ne serait que la réponse à un problème mathématique selon Geoffroy Roux de Bézieux, le patron des patrons! Elle ne vise pourtant qu'à maintenir le prix des pensions à 14% du PIB, ce qui est bien un choix politique. Et pour ceux qui n'auraient pas assez de points pour obtenir une pension "décente", ils serait prévu un minimum vieillesse. C'est le retour de la charité.