7 févr. 2016

La socialisation de l’entreprise n’exige pas de changer de Constitution

Alors qu'il leur manquait les instincts biologiques pour le faire, les Hommes ont réussi à s'organiser en réseaux de coopération de masse en créant des ordres imaginaires et en inventant l'écriture. Mais ces ordres imaginaires n'ont jamais été ni justes, ni neutres. La déclaration des droits de l'Homme n'a jamais suffi à abolir l'esclavage. Elle a en fait ancré dans la société une inégalité entre riches et pauvres que le 21ème siècle voit exploser.

Sapiens, une brève histoire de l'humanité
de Yuval Noah Harari chez Albin Michel
« La plupart des sociétés prétendent que leur hiérarchie sociale est naturelle et juste, mais que celles des autres se fondent sur des critères faux et ridicules. Les Occidentaux modernes ont appris à se moquer de l’idée de hiérarchie raciale. Ils sont choqués par les lois qui interdisent aux Noirs d’habiter les quartiers blancs, ou d’étudier dans les écoles blanches, ou d’être traités dans des hôpitaux blancs. Mais la hiérarchie des riches et des pauvres, qui oblige les riches à vivre dans des quartiers à part, plus luxueux, à étudier dans des écoles réservées et plus prestigieuses, ou à suivre un traitement médical dans des cliniques distinctes, mieux équipées, semble parfaitement justifiée aux yeux de beaucoup d’Américains et d’Européens. Or, il est prouvé que la plupart des riches sont riches pour la simple raison qu’ils sont nés dans une famille riche, alors que la plupart des pauvres resteront pauvres tout au long de leur vie pour la simple raison qu’ils sont nés dans une famille pauvre. » (Yuval Noah Harari dans Sapiens, une brève histoire de l’humanité ; chez Albin Michel septembre 2015).

La richesse est héritée et reproduite au fil du temps. Pour rester riches, les riches doivent faire fructifier leur richesse et ils le font en plaçant leur capital dans des affaires produisant du bénéfice.

Cette reproduction est fondée sur le mythe de la propriété pleine et entière des entreprises. Les actionnaires s’attribuent tout le bénéfice produit par les entreprises, les 700 Md€. Ils en mettent une partie, pas tout le temps, dans les entreprises (400 Md€) et consomment le reste (300 Md€). Ils sont de plus en plus riches.

Or, regroupés en société (SA), ils ne sont effectivement propriétaires que des capitaux qu’ils ont apportés. Ces capitaux ne suffisent pas et le complément est apporté par les banques. Ces crédits apportés par les banques sont remboursés sur plusieurs exercices grâce à la valeur ajoutée produite par le travail. Aucune ressource ne saurait fructifier sans travail. Le bénéfice est indissociablement constitué du capital des actionnaires, des crédits empruntés par l’entreprise et du travail des salariés.

Capitaux propres / total bilan (Observatoire des entreprises 2010)
La part des capitaux propres surdimensionne la part des capitaux fournis par la SA à l’entreprise puis qu’ils contiennent les réserves, accumulation des bénéfices des exercices précédents, bénéfices qui constituent légitimement un bien commun au capital et au travail, un bien de l’entreprise.

La Constitution, livre du mythe imaginaire sur lequel est fondée la République française, protège la propriété, mais pas la propriété totale de la SA sur l’entreprise. Et c’est cette habitude qui augmente l’inégalité entre les Français, ce qui est contraire à la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité » ; pas besoin de modifier la Constitution pour corriger par le droit la personnalité juridique de l’entreprise et mettre en place le cercle vertueux de l'égalité.