6 août 2014

Reprendre la main

Le jeu du béret a été gagné par les propriétaires. Pendant cent ans, ces propriétaires ont été raisonnables. Le directeur général de l’entreprise avait suffisamment de pouvoir pour défendre les intérêts du projet industriel contre les intérêts particuliers défendus par le président de la société. Mais la disparition du bloc communiste a libéré leur égoïsme et le président a absorbé les fonctions du directeur général pour mettre l’entreprise au service des actionnaires. Tout porte à croire que le béret ne peut être remis en jeu. L’État perd sa capacité de contre-pouvoir face au pouvoir de l’argent. Le parti socialiste même baisse les bras.

Le monde semble maintenant acquis pour toujours à l’économie privée, dans un environnement de libre concurrence où l’inégalité n’est plus injustice, mais juste récompense des plus forts présentés comme les plus méritant. Avec la chute du mur de Berlin, l’histoire se serait arrêtée. Plus d’alternative. L’État providence doit s’effacer devant un État policier qui défend la propriété et garantit la stabilité de l’environnement des affaires (Wallach, 2013) avec une pénalisation du mouvement social et des traités internationaux qui interdisent toute loi touchant au commerce et aux affaires.

Aujourd’hui, le capital se considère propriétaire de l’entreprise, alors qu’il n’a fourni qu’une partie de sa richesse. Le capital social est l’étincelle première qui a fait que tout est possible. Mais c’est le travail qui a fait grossir la richesse de l’entreprise.

Le capital intervient comme caution permettant à l’entreprise d’obtenir les crédits nécessaires aux investissement. Cette responsabilité ne justifie pas le hold-up permanent de la société sur l’entreprise. Elle doit être rémunérée explicitement et cette rémunération doit apparaître dans le compte d’exploitation au même titre que les salaires qui constituent les ressources nécessaires à l’entretien de la force de travail au niveau de vie d’aujourd’hui.

Le résultat produit par l'entreprise au cours d’un exercice n'appartient pas au capital, le travail doit avoir sa part. Et c'est la proportion du capital social dans le bilan de l'entreprise qui doit fixer cette part. Si rien ne serait possible sans le capital initial, rien ne serait non plus possible sans le travail qui permet de rembourser les crédits, de prévoir les investissements futurs et de dégager du résultat.

Travail et capital sont tous deux nécessaires. Contrairement au débat politique central du 20ème siècle, on n'a pas le choix seulement entre propriété privée des moyens de production et propriété publique. L’expérience du socialisme réel a montré que la propriété publique sur les moyens de production était aussi aliénante que la propriété privée, l’État propriétaire ne rencontrant en plus aucun contre-pouvoir au contraire d’un État libéral évolué.

Le vingtième siècle est celui de l’émancipation de l’entreprise, personne morale autonome combinant explicitement capital et travail. Il convient donc en ce début de siècle, après la crise financière dont n’arrive pas à sortir l’Europe, de mener la réforme de l’entreprise.

Cette réforme est difficile car elle touche à la répartition du pouvoir produite par l’histoire. Les salariés doivent gagner du pouvoir dans l'entreprise et les actionnaires en perdre. Le premier acte de cette réforme consiste à séparer les fonctions de président et de directeur général, il faut démanteler l'institution PDG, véritable arme de main au profit des actionnaires. Si cette réforme n’est pas réalisée avec l’intelligence de la démocratie, elle sera menée dans un conflit révolutionnaire alimenté par la pauvreté intérieure et l’immigration incontrôlable – même  par les États les plus policiers et xénophobes.

Le compte d’exploitation est instrumentalisé pour convaincre de la nécessité de « baisser le coût du travail ». Le compte d’exploitation ne présente qu’une face de l’entreprise, que le profil qui embellit le capital. Ce compte d’exploitation, modifié pour prendre en compte le coût de la caution du capital, doit être présenté avec le bilan de l’année précédente et celui qui est produit une fois l’exercice clos de l’année.

C’est la part du capital social dans le bilan qui mesure la valeur de sa contribution à l’exercice. Et la société n’a aucune légitimité à s’attribuer entièrement le résultat de l’exercice, seulement la proportion entre le capital social et le bilan initial. Tout le reste revient à l’entreprise.

La part du travail est la différence entre le bilan et le capital social. Et les salariés doivent pouvoir intervenir dans l’affectation du résultat en proportion de cette part. C’est donc cette proportion qui doit fixer le nombre d’administrateurs au conseil d’administration qui nomme le directeur général, l’assemblée générale de la société nommant seulement son président qui la représente au conseil d’administration assisté d’un nombre d’administrateurs proportionnel au poids du capital social dans le bilan de l’entreprise.
Les actionnaires ont perçu plus de 27Md€ de trop qui auraient pu
à la fois gratifier les salariés et contribuer à l'investissement
nécessaire au câblage en fibre optique du pays.
Avec un statut de l’entreprise Orange émancipé de la société Orange, le bilan n’aurait probablement pas baissé comme cela s’est produit durant ces sept années d’exercice, le câblage en fibre optique du pays aurait pu avancer sans impôt, les salariés d’Orange auraient pu bénéficier d’une meilleure gratification et ceux des sous-traitants obtenir de meilleurs statuts en étant recrutés par Orange. Les actionnaires auraient été rémunérés selon les contribution à la richesse de l’entreprise et leur responsabilité reconnue au travers d’une ligne dans le compte d’exploitation au titre de leur caution.

La réforme est nécessaire. Débattre, proposer et agir pour développer l’activité économique sans appauvrir la majorité. Le patronat se présente comme le défenseur de l’entreprise. Il n’est que le promoteur de son asservissement aux intérêts des plus riches. Le salariat est le moteur de l’émancipation de l’entreprise qu’il faut lancer pour ré-enchanter l’avenir.

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Wallach, L. (2013). Le traité transatlantique, un typhon qui menace les Européens. Le Monde diplomatique, p. 4 & 5.