Le débat politique s'enferme dans une suite de questions-réponses qui fait oublier le modèle de société pour lequel nous nous mobilisons. Longtemps ce débat tournait autour de la propriété privée ou non des moyens de production. Aujourd'hui, le débat politique ne remet plus la légitimité de la propriété privée des moyens de production produit par notre histoire et personne ne remet en cause l'existence du marché du travail. C'est là que se situe mon terrain de réflexion.
Depuis la chute du mur de Berlin le capitalisme n'a plus de concurrent, la gauche se trouve bien embêtée pour le contester. Qu'elle soit syndicale ou politique, elle se contente de revendiquer plus de pouvoir d'achat pour le monde du travail et de sortir quelques secteurs des lois du marché.
Le capitalisme
Le capitalisme n'est pas seulement la prédominance des sociétés de capitaux dans l’économie. Le capital est un stock qui, comme n'importe quel stock, se périme et perd naturellement de la valeur. Il est possible d'évaluer cette perte au niveau de ressources qu'il faut mobiliser pour maintenir la valeur des actifs (amortissements). Le capitalisme instrumentalise le travail pour "créer de la valeur", c'est-à-dire non seulement lutter contre la dépréciation du capital, mais alimenter sa valorisation au niveau le plus élevé possible. Il promet l'enrichissement à tous, mais assure la liberté à une minorité en assujettissant la majorité dans l'emploi.
Or c'est bien le travail qui produit la valeur ajoutée et maintient l'outil de production en état (amortissements) et le développe en confortant les fonds propres de l'entreprise (reports à nouveaux). C'est toujours le travail qui gratifie l'actionnaire (dividendes) pour avoir immobilisé une partie de son capital et contribué à l'édification de l'outil de production. Et c'est encore le travail qui rembourse les dettes souscrites par les actionnaires pour compléter leur capital. Il en résulte une légitime propriété du collectif de travail sur la valeur ajoutée et donc une codécision capital-travail sur l'usage de la valeur ajoutée pour l'entreprise. Cela limite la propriété de la société d'actionnaires au capital social (capital initial et extensions) et institue la propriété du collectif de travail sur le reste des ressources: c'est le communisme du 21ème siècle.
Le communisme du 21ème siècle
"A chacun selon ses besoin" n'était qu'une promesse soumise à la dictature du prolétariat semblable à celle du paradis des religions après une vie de souffrance. Le communisme du 20ème siècle était en fait un capitalisme d'Etat qui donnait un pouvoir exorbitant à une nomenklatura en opprimait tous ceux qui en étaient exclus. Mais la reconstruction du pays, en France, à la fin des années 1940 a mis en place un communisme déjà-là dans un pays de collaboration keynésienne intelligente entre privé et public : sécurité sociale et fonction publique. Imaginons le communisme du 21ème siècle.
Le travail
Ne reconnaître travail que l'activité en emploi (indépendant ou subordonné) revient à ignorer le bénévolat, l'aide à la dépendance, la femme à la maison, la garde des enfants par les grands-parents ; la santé et le soin souffrent du manque de ressources humaines et repose sur un engagement des personnes très mal reconnu. Tous contribuent à faire société, tous contribuent à la richesse. Cette contribution doit être rémunérée par un salaire à partir de 18 ans, l'âge de la majorité, c'est-à-dire de la vie autonome et citoyenne porteuse de droits et de devoirs).
La retraite à 60 ans est une des grandes avancées progressistes du gouvernement Mauroy sous la présidence Mitterrand. La réforme Macron visant à repousser l'âge légal de la retraite est une énorme régression, après toutes les réformes conduites depuis le livre blanc de Rocard. La retraite n'est pas un cheminement oisif vers la mort, mais une phase de la vie émancipée du travail en emploi, elle mérite un véritable salaire (ce que revendiquent Nicolas Castel et Bernard Friot dans leur livre paru aux Cahiers du salariat).
Jusqu'à 18 ans (l'âge de la majorité), la personne dispose d'une phase de formation pour acquérir sa qualification initiale grâce aux ressources de ses parents. Ensuite, en considérant cette acquisition comme un véritable travail, il peut prétendre à un salaire.
Entre 18 et 59 ans, soit pendant 42 ans, chacun peut améliorer sa formation initiale pour élever sa qualification et dispose donc des ressources salariales lui permettant de le faire dans les premières années de sa vie. Ensuite, il peut le faire grâce à la formation continue ou, après un certain nombre d'années en emploi, par validation des acquis de l'expérience (VAE) évaluée conjointement par l'employeur et l'institution académique.
Enfin, 2,6 M de personnes n'apparaissent pas parmi les catégories précédentes. Accordons leur le droit à la paresse en contrepartie d'un salaire qui n'évolue pas.
La situation des 53,2 M d'adultes et 2021 |
Malgré l'apparition des multinationales, l'humanité est structurée en pays, en nations qui sont le produit de l'histoire. Chacune a développé un système de lois qui lui est propre et qui réglemente les rapports entre ses membres. Chacune produit chaque année une richesse mesurée par le PIB (produit intérieur brut). Ce PIB est partagé sous le régime du capitalisme, au bénéfice des propriétaires, par des mécanismes marchands qui rendent chacun concurrent de l'autre. Imaginons un partage intelligent qui favorise la qualification et l'expérience de chacun. Considérons que chacun participe au partage du PIB en France selon sa qualification et son expérience.
Le partage de la valeur ajoutée
Le PIB, somme des valeurs ajoutées des entreprises et de la valeur ajoutée des administrations, est évaluée à 2 501 Md€ en 2021. Le PIB est souvent présenté par habitant, mais pour travailler la question de la répartition des richesses, le PIB par adulte est plus pertinent. En 2021, le PIB par adulte est de 3 920,60 € par mois en France. Mais si la richesse était répartie de façon si égale, sa production viendrait vite à s'éteindre.
Il faut encourager la mise en emploi des citoyens dans un travail le plus qualifié possible et le plus enrichissant possible pour chacun (en termes d'expérience et de salaire) et pour tous (en termes de qualité de la production et de PIB). Pour répondre à l'enjeu que doit relever l'humanité en matière d'environnement, la seule poursuite de la richesse ne peut suffire.
Une société doit favoriser la plus grande qualification de ses membres. Plusieurs manières de prendre en compte la qualification sont possibles:
- la CGT, dans ses repères revendicatifs, s'appuie sur les diplômes de l'éducation nationale et propose 7 niveaux (aucune, BEP-CEP, Bac, Bac+2, L, M, D);
- Il est possible aussi de construire ces qualifications sur les quatre niveaux de fonction dans la production (employé/ouvrier, cadre, cadre supérieur, cadre dirigeant);
- Suivant l'UE dans sa promotion du BLMD, retenons 5 niveaux (<Bac, Bac, L, M, D) avec une correspondance cadres / L, cadres supérieurs / M, cadres dirigeants / D).
Réparti selon la qualification et compte tenu de celle des citoyens français (de façon approchée avec les niveaux en sortie de formation initiale en 2021), les salaires seraient les suivants, avec un écart entre niveaux de 20% du niveau inférieur :
L'absence d'emploi place la personne en situation de chômage qui arrête l'évolution de son salaire, le retour à l'emploi repositionnant le salaire au niveau qu'il aurait eu sans chômage.
Assurant une rémunération à tous, le seul risque à couvrir dans ce système est la santé prise en compte ici à un taux de 15% (supérieur à celui constaté en France) par rapport au PIB ce qui impose aussi la même cotisation sur les profits.
Depuis une quarantaine d'années, la part des salaires représente 2/3 du PIB. Construisons notre support de réflexion sur l'hypothèse que cela constitue une norme qui permet l'entretien et le développement de notre système productif. Le tableau représente donc le "possible" en matière de répartition des richesses en fonction des qualifications en France en 2021. Avec cette répartition, la médiane des salaires nette est de 2 221,32 € par mois et le taux de pauvreté à 60% de 1 332,79 €. Il n'y a pas de pauvres.
Le travail en emploi, en situation de subordination à un projet, est nécessaire pour produire la plus grosse partie du PIB. Il faut donc encourager cette mise en emploi grâce à la prise en compte du temps passé en emploi.
Actuellement, sur les 53,2 M d'adultes, seuls les salariés et les indépendants (30,6 M d'adultes) sont considérés en emploi. Il devrait être possible de considérer ceux qui sont en formation initiale ou continue comme étant en emploi: ils sont 1 M à améliorer leur qualification. Bien-sûr, leur situation peut être soumise à la réussite de leur cursus dans le temps imparti, tout échec les versant en situation de chômage. Chômeurs (jusqu'au retour à l'emploi avant 60 ans), retraités (à partir de 60 ans jusqu'à la mort) ou autres (toute leur vie) gardent leur dernier salaire. Pour encourager cette mise en emploi, cette mise au service d'un objectif collectif en intégrant un collectif de travail, il faut que cela ait un effet sur son salaire: un doublement du salaire initial après 42 ans de travail en emploi (la carrière complète) avec changement de l'échelle à chaque changement de qualification.
Enfin, la retraite à 60 ans rend le citoyen libéré de toute nécessité en matière d'emploi, sans lui interdire. Son salaire reste au niveau atteint à 60 ans et évolue en fonction du PIB à répartir, de la démographie et des situations des autres membres de la population en matière de qualification et d'expérience.
Résultat obtenu par calcul matriciel et valeur cible* |
Le graphique ci-dessus montre le parcours d'un citoyen qui acquiert une qualification de niveau licence en formation initiale et fait valider ses acquis de l'expérience au niveau master d'ingénieur DPE (diplômé par l'Etat).
Grille des salaires pour le PIB et la population 2021 |
Le partage de la richesse décrit ici prévoit le même taux de profit que ce qui a été constaté au long des quarante dernières années. Le profit permet de réparer l'outil de travail (amortissements), de rembourser les dettes qui ont permis d'étendre les ressources au-delà du premier capital social et des fonds propres ensuite, de produire le bénéfice qui permet d'alimenter les fonds propres (report à nouveau) et de gratifier les propriétaires du capital social (dividendes) selon leur portefeuille d'actions et les salariés (primes) selon l'évaluation de leur contribution par la ligne hiérarchique.
Le partage des revenus des personnes ne se limite pas au salaire. Chacun peut recevoir des dividendes ou des primes, mais aussi des loyers grâce à la location éventuelle de biens immobiliers. Ces loyers, diminués des charges d'entretien et de fiscalité, participent au PIB. Ils doivent donc être soumis à la cotisation des 2/3 sur la valeur ajoutée. Ils ne rentrent que de façon marginale dans le revenu d'une personne.
L'entreprise
Pour aller plus loin, il faut un certain nombre de connaissances sur l'économie dont il est possible d'obtenir la vision de l'entrepreneur et du financeur avec la formation mise à disposition par Benoît Borrits.
Pour pallier les lacunes l’extension du salaire à la qualification personnelle comme voie de sortie du capitalisme proposée par "Réseau salarial", Daniel Bachet et Benoît Borrits ont été invités à élaborer le programme d’un séminaire consacré à la refondation de l’entreprise. Ils ont publié le compte rendu du séminaire.
Considérant que, au sein de l'entreprise, la valeur ajoutée est produite par le travail, une vision de l'entreprise comme un bien commun à la société d'actionnaires et au collectif de travail s'impose.
Actuellement, la société d'actionnaires dispose de toute la valeur ajoutée et décide des salaires de chaque membre du collectif de travail et de l'usage des profits. Il est temps d'ouvrir la boîte noire et de reconnaître la propriété d'usage qu'il il est légitime de donner au collectif de travail: toutes les ressources hors le capital social.
- Le fondement du pouvoir dans l'entreprise étant la propriété, le conseil d'entreprise fondé à décider de l'usage des profits doit être constitué par une représentation proportionnelle du capital de la société d'actionnaires dans les ressources (K%) et du collectif de travail;
- Le partage des bénéfices non affectés aux fonds propres entre dividendes et primes est fondé sur la proportion du capital de la société d'actionnaires dans les fonds propres (k%), le reste étant distribué en primes selon les choix managériaux du collectif de travail.
La sécurité économique
Une étude de l'INSEE réalisée en 2009 sur 2006 établit que la moitié des entreprises consacrent 67% de leur valeur ajoutée aux salaires, un quart plus de 73% et un quart moins de 44%, le secteur des services immobiliers 31% et le secteur de la construction 81%, comme la sécurité sociale. Une analyse par catégorie d'entreprise et par secteur est donnée dans cette étude.
Part de la rémunération salariale dans la valeur ajoutée par secteur d’activité |
Part de la rémunération salariale par taille d’entreprises |
En alimentant les salaires de tous avec une cotisation des 2/3 de la valeur ajoutée, chaque entreprise préserve un taux de profit de 1/3 pour entretenir son outil de production, rembourser ses dettes, conforter ses fonds propres et gratifier les membres de sa société d'actionnaires (dividendes) et son collectif de travail (primes).
L'idée d'une cotisation des entreprises pour distribuer des salaires qui permettent une vie décente dans notre société, en rapport avec la richesse qu'elle produit, vise aussi la sécurité économique des entreprises.
L'Etat
"Selon le droit international, un État souverain est vu comme délimité par des frontières territoriales établies, à l'intérieur desquelles ses lois s'appliquent à une population permanente, et comme constitué d’institutions par lesquelles il exerce une autorité et un pouvoir effectif. La légitimité de cette autorité doit en principe reposer — au moins pour les États se disant démocratiques — sur la souveraineté du peuple ou de la nation." [Wikipédia] C'est le cas de la France.
Pour remplir ses missions, l'Etat dépend des recettes que l'impôt et la rémunération des services qu'il rend. L'acceptation du peuple est fondée sur les bases de la révolution française d'un système égalitaire construit tout au long de son histoire, mais faussé par les politiques d'aide à l'emploi et aux entreprises et l'étatisation de la sécurité sociale. La fiscalité est devenue illisible.
L'impôt communiste du 21ème siècle doit reposer sur:
- la taxation des revenus des personnes physiques (salaire, dividendes, primes et loyers) et sur ceux des personnes morales (mises en fonds propres et éventuellement loyers);
- la taxation des cessions de propriété et d'héritage des personnes physiques (seuls acteurs pouvant recevoir ou hériter d'un patrimoine) à partir d'un certain montant, par exemple la médiane des héritages;
- la taxation du patrimoine à partir d'un certain niveau, par exemple la médiane des héritages de PME pour le patrimoine productif, la médiane des patrimoine immobilier pour l'immobilier, etc.
Plus de TVA sur la consommation - ce qui améliore le pouvoir d'achat de 20% ce qui donne à un salaire de 992,02 € un pouvoir d'achat de 1 190,42 € - qui pénalise tant ceux qui ne gagnent pas assez pour ne pas tout consommer leur salaire, plus de taxes farfelues comme l'impôt sur les fenêtres, la clarté doit favoriser l'acceptation de l'impôt. Il n'apparaîtra plus comme un prélèvement à la main du gouvernement, mais comme une mise en commun volontaire fondée sur une contribution à la hauteur des moyens de chacun.
Les secteurs ne sont pas égaux en matière de besoin de capitaux. Cette réalité doit être administrée par l'Etat qui peut en profiter pour favoriser les transformations nécessaires de la production, notamment la transition écologique répondant aux enjeux climatiques et à l'entretien de notre environnement.
Le choc des modèles
Alors que le capitalisme permet au propriétaire d'utiliser la part de la valeur ajoutée non utilisée pour les salaires à "créer de la valeur" à son seul profit, le communisme permet au collectif de travail d'être un acteur majeur dans chaque unité de production.
En ce qui concerne la répartition des richesses, le modèle le plus proche de celui qui est développé ici est porté par Réseau salarial, ainsi que les repères revendicatifs de la CGT.
En ce qui concerne la sécurité économique, le modèle le plus proche de celui qui est développé ici est porté par le groupe de Benoît Borrits.
Le modèle d'entreprise développé ici a pour origine la décision du 17ème congrès de l'Ugict-CGT toujours confirmé jusqu'au 19ème congrès, le dernier.
La gauche est en difficulté face au simplisme de l'extrême droite, elle doit s'approprier cette question du modèle de société qui ne peut pas se réduire au retour des jours heureux.
Les usages d'un modèle
Un modèle peut être la cible, l'objectif poursuivi par un courant de pensée et constituer l'idéologie qui conduit un courant de pensée susceptible de prendre le pouvoir sur la société pour la transformer. L'expérience du communisme réel au 20ème siècle n'engage pas vraiment à cet usage du modèle, il va falloir convaincre plutôt que se battre - réservons la lutte au mouvement social, le mouvement politique mobilisant lui, les idées et obtenant le soutien de la population par la conviction.
Un modèle peut aussi être une grille d'analyse de la réalité.
Le modèle d'aujourd'hui affirme que le capital prend un risque en s'investissant et s'attribue toute la production pour entretenir et développer l'outil de production et en retirer des dividendes; il donne du travail et en fixe le prix sur le marché du travail.
Notre modèle constitue une rupture par rapport au modèle de la société d'aujourd'hui en affirmant que c'est le travail qui produit la richesse et que le capital a besoin de ce travail pour ne pas perdre sa valeur. Notre modèle supprime la pauvreté grâce à une première distribution égalitaire favorisant la qualification et l'expérience et ne soumet le travail à un marché qu'au niveau d'un second tour, celui des gratifications selon les bénéfices réalisés. Ces gratifications sont soumises au bénéfice et ne sont pas destinées à être gravées dans le marbre du salaire comme aujourd'hui. La pauvreté est éradiquée et l'outil de production dispose des mêmes ressources qu'aujourd'hui.