20 nov. 2017

Un nouveau modèle de société

Le modèle de société capitaliste sur lequel la France est bâtie ne permet pas de mettre en place ce régime vertueux qui a pour devise « liberté, égalité, fraternité ». Le 20ème siècle a mis en place un autre modèle de société socialiste qui a dû se protéger derrière un mur dont la chute a mis fin à l'expérience. Mais le capitalisme ne répond pas aux besoins de l'Humanité et jette les peuples aux mains des dictatures nationalistes ou religieuses. Il est temps de développer notre intelligence et de construire un nouveau modèle de société.

À force de maintenir les fondements de la société établis par Napoléon 1er, tyran sorti d’une Révolution française perdue dans les luttes fratricides de la Convention, la France n’arrive pas accoucher du modèle social qui permettrait à chacun de vivre selon ses qualités propres au niveau de la richesse créée dans le pays.

Dans un régime démocratique, le lieu d’exploitation n’est pas l’État qui protège. Chacun peut se proposer au suffrage de ses concitoyens et choisir ses représentants. Bien sûr, les politiques instrumentalisent l’émotion liberticide que les media sont prompts à propager. Mais il faut espérer que la culture tempère le risque Rhinocéros (Ionesco, 1959).

C’est l’entreprise qui impose à la majorité des citoyens une zone de non-droit où une minorité inflige ses choix au nom de la propriété. Il ne s’agit pas ici d’attenter au droit de propriété – contributeur important à la liberté, mais de redéfinir son périmètre dans l’entreprise à l’aune des contributions de chacun des acteurs aux ressources de l’entreprise.

Reconnaître la contribution du travail aux ressources de l’entreprise

L’histoire sociale du 20ème siècle a changé la nature de la relation entre le travail et le capital grâce à l’institution d’un salaire lié à la qualification du travailleur. Mais, au tournant du dernier quart de ce siècle, les employeurs ont réussi à individualiser ces salaires et à imposer la compétence (adéquation à la qualification du poste) comme critère de rémunération, à la place de la qualification de la personne.

Le capitalisme d’aujourd’hui retrouve le modèle des canuts où le marchand commande des étoffes au tisserand qui possède ses propres machines et livre la production au prix le plus bas ; le tisserand vit mal et impose à ses ouvriers un salaire de misère.

Le modèle Uber met en œuvre les mêmes mécanismes en faisant de chaque travailleur une entreprise et Macron l’impose à terme avec son programme :
  • Acte 1, effacer de la loi devant la « négociation locale » ;
  • Acte 2, développer l’employabilité des travailleurs pour intensifier la concurrence entre eux et développer l’intéressement/participation contre les salaires ;
  • Acte 3, fiscaliser la sécurité sociale supprimer les cotisations pour éliminer toute existence du salaire socialisé, seul contributeur d’égalité réelle.

La réforme promue par toutes les politiques économiques depuis les années 1970 consiste à reproduire le modèle des canuts : Employeurs et salariés, les investis (Feher, 2017), doivent porter des projets susceptibles d’intéresser les investisseurs qui disposent de toutes les innovations financières des trente dernières années pour couper les liens avec le projet d’entreprise dès qu’ils trouvent d’autres projets plus rémunérateurs.

C’est donc bien en partant de l’entreprise qu’il faut imaginer un nouveau modèle de société susceptible de dépasser la situation dont souffrent les salariés et beaucoup d’entrepreneurs.

L’invention de l’entreprise

Les investis (employeurs et salariés) sont tenus de contribuer au « bien-commun », l’entreprise, pour attirer un financement qui bénéficie aujourd’hui de la plus grande mobilité. Les salariés sont appelés à accepter les « efforts » les plus difficiles pour le bien-commun.

L’employeur, souvent, notamment dans les plus petites structures, est mu par l’esprit d’entreprise et le bien commun. Le salarié aime voir son travail fixé dans la réalisation de projets qui contribuent au développement de leur entreprise.

En devenant Medef , le CNPF  a inventé l’entreprise pour disposer d’un leurre de bien-commun. L’entreprise n’a aucune existence juridique. Cela en fait un mirage. C’est une réalité affective forte dans l’esprit des entrepreneurs et des salariés, mais elle n’a aucune consistance, elle n’est qu’un nœud de contrats mis au service de la société d’actionnaires - association dont le seul objectif est de faire les plus gros bénéfices pour les partager aux associés.

La définition juridique de l’entreprise doit formaliser la coopération entre deux acteurs : la société d’actionnaires et le collectif de travail.

Les acteurs de l’entreprise

La société d’actionnaires dispose d’un statut juridique qui lui permet de signer des contrats avec les fournisseurs, des contrats de travail avec chaque salarié, des contrats de services avec ses clients. Les actionnaires n’engagent dans cette société d’actionnaires que l’argent qu’ils ont mis en commun.

Le collectif de travail n’a pas plus d’existence juridique que l’entreprise. Pour bien travailler et se sentir bien dans leur travail, les travailleurs forment un collectif suffisamment souple pour adapter le travail aux divers aléas qu’ils rencontrent et suffisamment structuré (hiérarchie) pour porter le projet. Le collectif de travail ne peut intervenir sur l’entreprise comme une partie-prenant. Il ne peut faire reconnaître ses droits dans l’entreprise.

Les ressources de l’entreprise

La création d’entreprise commence par la mobilisation de ressources qui permettent de réunir les actifs nécessaires au collectif de travail pour produire un profit à chaque exercice.

Les ressources sont constituées par le capital social de la société d’actionnaires complété d’autres ressources apportées par le collectif de travail au fil des exercices : le remboursement des dettes de l'entreprise au fil des exercices, ainsi que les réparations des actifs au travers de l’amortissement.

Au fil des exercices, le collectif de travail entretient les actifs et rembourse les dettes de l'entreprise.
C’est la capacité de remboursement qui justifie l’obtention des crédits auprès des banques. Les banques prêtent an fonction du crédit qu’elles prêtent à la capacité du collectif de travail de produire le profit suffisant pour assumer l’engagement à rembourser.

En moyenne, la société d’actionnaires apporte un tiers des ressources, le collectif de travail en apporte les deux tiers (image ressource des amortissements et crédits remboursés par le travail passé et présent, ainsi que nouveaux crédits gagés sur le travail futur.

Actuellement, la stratégie est décidée par la société d’actionnaires au sein du conseil d’administration. Elle définit les projets à mener, les ressources à y consacrer, l’utilisation du profit et le niveau de résultat à produire. Mais la société d’actionnaires ne s’engage qu’auprès de ses associés, qu’à produire du bénéfice . Elle n’est tenue par aucune autre mission.

L’union générale des ingénieurs, cadres et techniciens de la CGT, en son 17ème congrès (UGICT-CGT, Document d'orientation adopté au 17ème congrès de l'UGICT-CGT, 2014), a décidé "[d’] agir pour un nouveau statut de l’entreprise, distinct de celui de la société d’actionnaires".

Dans ses 35 propositions (UGICT-CGT, 35 propositions pour une nouvelle définition de l’entreprise et du management, 2017) l’UGICT-CGT demandent « que davantage de salariés deviennent administrateurs dans les conseils d’administration » (Binet, 2017).

Le Conseil d’administration est un organe de la société d'actionnaires. Si l'entreprise dispose d'un statut juridique, elle doit avoir son propre organe de gouvernement : le conseil d’entreprise . La société d’actionnaires et le collectif de travail doivent s'y partager le pouvoir selon leur contribution aux ressources : 1/3 pour la société d’actionnaires qui défend les intérêts des actionnaires ; 2/3 pour le collectif de travail, dont la moitié pour la direction exécutive qui porte le projet d’entreprise et la moitié pour les salariés selon la représentativité syndicale dans l’entreprise qui défend les intérêts des salariés.

Ce conseil d’entreprise déciderait de la stratégie d’entreprise, fixerait les ressources nécessaires, déciderait de l’utilisation du profit et donc, niveau du résultat.

La pérennité de l’entreprise est assurée par la limitation au capital social des changements d’actionnaires. Le poids du collectif de travail dans le conseil d’entreprise interdirait toute fusion et absorption violente. 

Le partage du résultat

Aujourd’hui, "le résultat appartient à la société d’actionnaires" (Jacquet, 2015) qui a toute liberté pour en faire ce qu’elle veut, même distribuer en dividendes près de quatre fois le résultat comme France Telecom l’a fait sur l’exercice 2011.

Bien sûr, cette pratique ne favorise pas le développement, ni la sécurisation des ressources de l’entreprise – les ressources de France-Telecom Orange (100 Md€) ont diminué de près de 6% en dix ans et les fonds propres hors capital social sont négatifs.

En construisant la distribution des résultats sur la contribution des acteurs de l’entreprise, la société d’actionnaires se verrait attribuée un tiers des résultats, l’entreprise un tiers sont forme de « mise en ressources » au titre d’attribution à la direction en charge du projet et les salariés un tiers attribué au mérite (compétence, fonction particulière, engagement, etc.).

La distribution des résultats en trois tiers favorise l'entreprise
La distribution des résultats en trois tiers favorise l’entreprise. Elle assure le développement du capital propre de l’entreprise hors capital social d’un tiers du résultat à chaque exercice. Elle limite les intérêts versés au capital à l’efficacité réelle du modèle économique et ouvre la reconnaissance du travail des salariés selon leur productivité.

L’invention du salaire à vie

Les institutions mises en place au sortir de la seconde guerre mondiale (salaire à vie des fonctionnaires, retraites, le paiement de la qualification, socialisation de la valeur ajoutée dans un salaire socialisé), ont changé le sens du salaire (Friot & Zeck, 2014). Cette révolution n’a pas mis en route un changement dans le partage de la richesse, mais un changement dans la production de la valeur.

Près de 60% des salaires sont des salaires à vie. Et les salaires représentent les 2/3 du PIB (Cotis, 2009) en France (2 229 Md€). Étendre ces salaires socialisés à toute cette part de la valeur ajoutée, c’est conforter l’institution de la cotisation, c’est porter un projet d’émancipation du travail qui transformera la production de valeur.

Deux conceptions s’affrontent autour de la cotisation :
  • Le salaire différé est compatible avec la retraite par point puis-ce que la cotisation alimente, dans cette conception, une cagnotte qui est utilisée en différé quand cela est nécessaire dans la limite des points qu’elle totalise.
  • Le salaire socialisé est la partie du salaire mise en commun pour payer les charges de la société dont la retraite qui constitue une prestation définie offerte aux citoyens à partir d’un certain âge.

La cotisation sociale des entreprises

Les salaires représentent aujourd’hui 2/3 du PIB en France. En moyenne, les entreprises consacrent les 2/3 de leur valeur ajoutée aux salaires, mais un quart des entreprises y consacrent plus de 89% et un quart encore y consacrent moins de 44% de leur valeur ajoutée.

Cette diversité s’explique par le caractère plus ou moins capitalistique du secteur dans lequel ces entreprises interviennent, mais aussi par l’avantage que donne le poids des plus grosses entreprises capables de sous-traiter en mettant en concurrence des entreprises plus petites et d’exercer par leur intermédiaire une pression sur les salaires.

Le salaire à vie

Personne aujourd’hui ne peut affirmer qu’il s’est fait tout seul. Chacun est redevable à la multitude des humains qui l’a précédé, à ses ancêtres et ses contemporains. Si ses qualités et son activité doivent être reconnues, chaque humain doit disposer de la part de la richesse créée chaque année pour:
  • Vivre au sein de l’humanité d’aujourd’hui, de la société du monde d’aujourd’hui et d’hier;
  • Voir rémunérée la qualification que lui ont donné sa famille, son milieu et son effort personnel;
  • Voir son travail reconnu dans la durée;
  • Être rémunéré pour ses compétences, pour la spécificité de ses fonctions, pour son engagement;
  • Récupérer la valeur de ses investissements.

Le salaire à vie recouvrirait les trois premiers points: assurer à chacun un niveau de vie qui lui permet de s’intégrer dans la société à laquelle il appartient ; rémunérer la qualification de chacun ; rémunérer sa carrière. Les entreprises n’auraient pas la main sur ce salaire à vie dont le volume ne dépendrait que du PIB : les 2/3 de ce PIB y seraient consacrés.

Le salaire d’existence pourrait être fixé au seuil de pauvreté : 1 000,00 € par mois. La rémunération de la qualification personnelle pourrait être organisée en 5 niveaux, avec un gap entre deux niveaux adjacents de 20%. La carrière complète (de 18 à 60 ans) pourrait être valorisée par un doublement de la rémunération de la qualification, l’augmentation ayant lieu chaque année où la personne se trouve en situation de travail, de formation ou de mobilité.

À partir de 60 ans, il ne serait pas interdit de travailler, mais ce travail n’aurait plus d’effet de croissance sur le salaire à vue.

Au-delà de l’égalité pour vivre au niveau de richesse de la société, au niveau de sa qualité propre et du temps de contribution dans sa vie jusqu’à 60 ans, le salaire à vie construit de la fraternité en permettant à chacun de s’engager fortement dans son travail ou d’entreprendre.

Chaque année le PIB produit des salaires à vie, en 2016 les salaires à vie auraient été de 1047 à 4344 € par mois.
Il y aurait d’autres sources de revenus éventuels pour rémunérer l’engagement et l’investissement à partir du tiers du collectif de travail et du tiers de la société d’actionnaires du partage du résultat des entreprises.

Rappel sur le partage du résultat de l’entreprise

Conformément aux statuts des entreprises, le profit managé par le conseil d’entreprise produit un résultat partagé en trois tiers :
  • Un tiers pour les ressources de l’entreprise;
  • Un tiers pour le collectif de travail;
  • Un tiers pour la société d’actionnaires.

Selon sa contribution, chaque membre du collectif de travail (fonction, compétences qu’il met en œuvre, responsabilités qu’il exerce, engagement dont il fait preuve) et chaque membre de la société d’actionnaires (selon son portefeuille) reçoit sa part en plus de son salaire à vie.

La sécurité sociale

Avec le salaire à vie, les risques de chômage et de vieillesse disparaissent. Il ne reste à sécuriser que le risque de santé et de dépendance.

En 2016, la France a dépensé 11% de son PIB à la santé : 215 Md€. Ces dépenses doivent être couvertes par une cotisation sur le salaire à vie et sur le résultat des entreprises. La couverture de ce besoin social doit être assurée par le prélèvement de cotisations sur les salaires à vie et sur les résultats des entreprises à un taux calculé selon les besoins. Le paiement de ces cotisations est fait au moment du versement du salaire à vie et de celui du versement du résultat.

L’État

Pour couvrir les dépenses de l’État, l’impôt est calculé à un taux unique (prélevé à la source) sur les salaires à vie et selon un barème progressif sur les revenus des membres du collectif de travail et sur les dividendes versés aux membres de la société des actionnaires. Les ressources issues du salaire à vie sont suffisamment proche pour que le taux soit unique, celles qui sont issues du partage du résultat sont trop inégalitaire pour que le prélèvement ne soit pas progressif. L’impôt payé au titre des revenus de l’année n sont prélevés au cours de l’année n+1.

Bibliographie

Binet, S. (2017, novembre 8). Sophie Binet: "Réformer la gouvernance des entreprises est une priorité". (S. Foulon, Intervieweur) Récupéré sur Alternatives économiques: https://www.alternatives-economiques.fr/sophie-binet-reformer-gouvernance-entreprises-une-priorite/00081473

Cotis, J.-P. (2009). Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France. Paris: INSEE.

Feher, M. (2017). Le temps des investis. Paris: La Découverte.

Friot, B., & Zeck, P. (2014). Emanciper le travail. Paris: La Dispute.

Ionesco, E. (1959). Rhinocéros. Paris: Galimard.

Jacquet, D. (2015). Finance et création de valeur. Formation Orange Campus.

UGICT-CGT. (2014, mai 23). Document d'orientation adopté au 17ème congrès de l'UGICT-CGT. Récupéré sur S'engager pour le progrès: http://congres.reference-syndicale.fr/sengager-pour-le-progres/

UGICT-CGT. (2017, juin 29). 35 propositions pour une nouvelle définition de l’entreprise et du management. Récupéré sur Syndicoop.info: https://syndicoop.info/35-propositions-pour-une-nouvelle-definition-de-lentreprise/