16 avr. 2016

Trente ans d’échecs et d’idées reçues

La loi travail n’est pas la première réforme de la législation du travail menée depuis quarante ans. La motivation de cette loi reprend le discours porté par la chef d’entreprise intervenue dans les dialogues citoyens de François Hollande : "une entreprise qui se séparerait plus facilement de ses salariés serait ainsi poussée à recruter plus facilement". Mais cette loi va-t-elle constituer une "avancée pour les plus fragiles" ?

Après trente ans de flexibilisation, il est évident de constater que les politiques "d’assouplissement" du code du travail n’ont pas eu d’effet sensible sur le chômage.

Alternatives économiques, taux de chômage au sens du BIT

AE n°356 avril 2016
Alternative Économiques ouvre son numéro d’avril avec cette affirmation: "Flexibilité, le piège". Trois articles se succèdent dans la rubrique "l’événement" :
  • Trente ans d’échecs et d’idées reçues ;
  • Allemagne, Espagne, Italie, ce n’est pas la flexibilité qui fait la différence ;
  • Un projet de loi qui divise, débat entre Laurent BERGER (secrétaire général de la CFDT) et Pascal LOKIEC, professeur de droit à l’université Paris Ouest.
La montée du chômage apparaît en 1972 avec l’introduction de l’intérim en France. Le coût du travail a été l’objet des principales réformes pour inciter les entreprises à embaucher. Les emplois atypiques ont été systématiquement favorisés (CDD en 1979), des "plans pour l’emploi" déployés, des exonérations de "charges" multipliées, la flexibilité interne développée dans les entreprises, l’inversion des normes installée, mais rien de dévie la courbe du chômage de son orientation croissante. Seule la réforme des 35 heures avec beaucoup de flexibilisation sur le temps de travail a eu un effet positif.

Les réformes génèrent beaucoup d’opposition dans la société et de nombreux mouvements sociaux. Et les « réformateurs » ne cessent de se plaindre d’une "France irréformable".

"Les juges découragent l’emploi" martèle le Medef, nom du syndicat du patronat qui permet à celui-ci d’apparaître comme acquis au bien commun de l’entreprise. Mais la situation financière et morale des travailleurs qui auraient à porter leur situation devant les tribunaux les empêche d’exercer leurs droits et fait baisser le nombre des affaires portées aux prud’hommes.

"Les protections créent le chômage" affirment les "réformateurs", notre code du travail serait trop protecteur et ferait peser trop d’insécurité sur les entreprises pour qu’elles recrutent. Pourtant, près de la moitié des 15-24 ans recrutés en CDI perdent leur emploi dans la première année. Anne EYDOUX et Anne FRETEL*, ainsi que Michel HUSSON** montrent que la suppression des protections n’entraîne pas mécaniquement de créations d’emplois.

Après les réformes SCHRÖDER, l’Allemagne a servi d’exemple aux "réformateurs". Mais les dégâts causés à la cohésion sociale obligent maintenant le gouvernement à adopter le modèle français d’extension des conventions collectives, à encadrer les minijobs, à revenir sur la retraite à 67 ans, à limiter le recours au détachement de salariés à bas coût.

Les réformes des marchés du travail en Espagne et en Italie sont montrées en exemple aujourd’hui. Pourtant, l’emploi résiste mieux en France qu’en Espagne et en Italie depuis 2008. En Espagne, la courbe du chômage bénéficie surtout du départ d’un grand nombre d’actifs qui ne trouvent de solution à leur situation que dans l’émigration et du maintien du déficit budgétaire et du niveau de la dette publique pour renforcer l’activité. L’Italie ne parvient pas vraiment à reconstituer son niveau d’emploi d’avant-crise.

La France a la plus forte croissance de sa population active par rapport à l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, ce qui dessert sa performance sur le chômage malgré une consolidation de l’emploi.

CICE*** et pacte de responsabilité accompagnés d’une austérité vigoureuse imposée les ménages par la pression exercée sur les dépenses publiques n’ont pas produit l’effet escompté sur l’investissement malgré un redressement spectaculaire des marges.

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* "Réformes du marché du travail, des réformes contre l’emploi", janvier 2016, https://lc.cx/4mVQ.
** "Marché du travail, la rigidité n’est pas l’ennemi de l’emploi", Alterecoplus, https://lc.cx/4mVQ.
*** Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi