28 avr. 2020

À quelle condition un effort peut être accepté par les salariés?

Après la crise sanitaire, le Covid-19  déclenche une crise économique susceptible de produire une décroissance de 10 points de PIB; la richesse créée en France chaque année.

La richesse crée par le travail au cours d’une année en France est mesurée par le PIB.

Ce PIB peut être construit de trois manières différentes:
  • somme des valeurs ajoutée (valeur ajoutée; impôts – subventions);
  • somme des emplois finals (consommation finale, formation brute de capital et stocks, etc.);
  • somme des emplois des comptes d’exploitations (salaires, impôts sur la production, etc.)
Retenons la première définition: le PIB est la somme des valeurs ajoutées.

Le PIB France

La croissance du PIB France est en baisse régulière depuis 1950. La tendance est très linéaire malgré de fortes variations. Mais le PIB connaît une forte rupture au début des années 1970, date qui sépare l’histoire du PIB en deux périodes à la tendance linéaire, la pente de la deuxième étant beaucoup plus forte:
  • La rupture apparaît juste après l’année 1968 qui a connu une forte augmentation des salaires et un croissance importante.
  • La pente de l’évolution du PIB est ensuite maintenue par le poids du PIB malgré une croissance en perte de vitesse.
  • Le PIB de la France est robuste et sa résistance aux crises peut être attribuée à l’État social qui assure une forte redistribution qui soutient la consommation.
  • Mais un certain décrochage par rapport à la courbe de tendance linéaire apparaît avec l’arrivée de Hollande à la présidence de la République et sa politique de rigueur imposée par les normes européennes (déficit et dettes publiques).
70 ans de PIB France
L'entreprise capitaliste

La société d’actionnaires contracte avec ses fournisseurs, ces clients et ses salariés pour générer un chiffre d’affaires qui lui permet de conforter les actifs de l’entreprise et rémunérer ses actionnaires.

La mobilisation des salariés tout au long du 19ème et du 20ème siècle a permis de constituer un droit social assurant une protection que les salariés n’avaient pas quand le travail était contrôlé par le droit commercial.
La vision de la société d'actionnaires sur l'entreprise
Et la richesse créée, la valeur ajoutée, reste une information interne à la société d’actionnaires, les salaires apparaissant comme un coût au même titre que les fournitures.

L'entreprise bien commun au capital et au travail

Les actionnaires constituent la société d’actionnaires en apportant le capital social en ressources de l’entreprise. Sur la base du modèle économique présenté aux banques, une avance sur profits complète les ressources pour rassembler les actifs nécessaires au travail.

C'est le collectif de travail qui produit la valeur ajoutée, les salaires et les profits. Ces profits lui permettent de réparer les actifs (amortissements), de rembourser les avances (résultat financier) et dégagent un éventuel bénéfice pour développer les ressources de l’entreprise grâce à la mise en fonds propre de ce qui n’est pas distribué aux actionnaires selon leur portefeuille et aux salariés selon les normes managériales.
Bilan et comptes d'exploitations constituent le journal des contributions
de la société d'actionnaires et du collectif de travail aux ressources de l'entreprise.
Bilan et comptes d’exploitation constituent les journaux de la contribution et du collectif de travail aux ressources de l’entreprise:
  • la société d’actionnaires apporte le capital social noyau des ressources;
  • le collectif de travail répare les actifs rembourse les avances et produit le bénéfice pour développer les ressources en fonds propres.
Cette approche fait apparaître une autre vision de l’entreprise que celle qui a été naturalisée au bénéfice de la société d’actionnaires qui décide de tout: salaire négocié avec chaque salarié, conditions de travail, utilisation des profits et distribution des dividendes.
La vision du collectif de travail sur l'entreprise
Le capital social ne représente que moins du tiers des ressources en moyenne, le reste est apporté par le travail tout au long des exercices. La contribution du travail aux ressources de l’entreprise doit être reconnue. Le collectif de travail doit disposer d’une propriété d’usage sur les ressources de l’entreprise  proportionnelle à sa contribution aux ressources. Cette propriété ne donnerait pas droit à la vente, mais à celui d’un pouvoir proportionnel à son portefeuille.

Pour préciser, avec des ressources à un niveau R et un capital social de K, la répartition des pouvoir entre société d’actionnaires (SA) et collectif de travail (CT) serait de K% à la SA et (1-K)% au CT.

La vision qui reconnaît la contribution du collectif de travail aux ressources de l’entreprise, la vision que l’on pourrait qualifier de vision du collectif de travail doit s’imposer au droit français.

Cette approche fait apparaître une autre vision de l’entreprise que celle qui a été naturalisée au bénéfice de la société d’actionnaires qui décide de tout: salaire négocié avec chaque salarié, conditions de travail, utilisation des profits et distribution des dividendes.

Le partage de la richesse en France

Utilisation de la valeur ajoutée
À l’initiative de Nicolas Sarkozy, Jean-Philippe COTIS, directeur général de l'INSEE, reçoit mission d'établir, un rapport sur le partage de la valeur ajoutée, le partage des profits et les écarts de rémunérations en France.

Ce rapport établit une grande stabilité des salaires depuis le milieu des années 1980 ramené au niveau des années 1950.

Mais la moyenne cache une forte diversité selon le type d’entreprise et selon le secteur, ainsi qu'une évolution très inégalitaire des salaires.

Ces informations ne dissuadent pas les autorités de poursuivre leur politique de compétitivité malgré ses effets sur les piliers de l’État social:
  • le droit social – Le poids donné à l’entreprise pour le définir accentue le poids des mécanismes de marché sur les salaires, mais aussi les conditions de travail.
  • la sécurité sociale – Près de la moitié des recettes de la sécurité sociale ne sont plus assurées par les cotisations.
  • le service publique – Le poids économique du service public n’est perçu qu’au travers de la dette publique.

60 années de salaires (rapport Cotis 2009)
Le graphique sur les salaires du rapport Cotis montre, depuis les années 1950:
  • une première période de 40 ans d’augmentation largement due à une généralisation de grilles de salaires tout au long de la carrière par des négociations d’accords de branche qui s’imposent au niveau de l’entreprise;
  • une deuxième période de 40 ans stabilisé après un écroulement de 7 à 8 points avec la mise en place d’une individualisation qui soumet le travail aux mécanismes de marché.
Une répartition intelligente des salaires

La répartition proposée ici est dite intelligente pour marquer la différence avec celle d'un marché du travail de moins en moins contrainte par le droit social "réformé".

Imaginons une grille de salaires, non plus élaborée par branche et éventuellement améliorée au niveau de l’entreprise, mais une grille interprofessionnelle attribuée à toute personne en activité: employé, chômeur et indépendants, ainsi que pour tout retraité à partir de 60 ans.

Cette grille doit favoriser la qualification (acquise par formation initiale et continue ou par validation des acquis de l’expérience), ainsi que l’expérience. Elle peut être construite comme suit:
  • cinq niveaux de qualification, chacun d’eux séparé de ses adjacents d’une différence de 20% de salaire à expérience égale;
  • une expérience valorisée chaque année de manière à produire une carrière complète de 18 à 60 ans où le salaire final soit le double du salaire initial;
  • après 60 ans, la pension serait égale au dernier salaire atteint durant la carrière comme à chaque sortie d’activité le temps de l’inactivité.
Cette grille constitue donc une matrice qui, multipliée à la matrice [âge x qualification] donnerait la matrice des salaires bruts selon âges et qualifications. La contrainte économique sur les salaires serait alors que la somme des termes de cette dernière matrice soit égale aux 2/3 du PIB.
Une répartition intelligente des salaires
Pour le PIB de 2018 qui produit un salaire moyen de 3811,26€, le salaire médian serait de 3250€, le salaire minimum de 1644€ et le salaire maximum de 6736,83€ avec l’hypothèse d’une carrière complète pour tous les actifs.
Résultat 2018 de répartition intelligente des salaires
Si la mise en place de ce système va prendre du temps pour qu’il soit accepté, il permet de disposer d’un repère d’évaluation de la distribution des salaires fixés par le marché, ainsi que celle de la robustesse de la répartition en fonction fonction du PIB de l’année.

L’entreprise France investit 57% des profits bruts, soit 434 Md€ en 2018 et distribue 43% des profits bruts en primes aux salariés (7%) et en dividendes aux actionnaires (36%).

L'impact de la crise sanitaire du Covid-19

La crise économique provoquée par la pandémie devrait coûter 3 points de PIB par mois de confinement selon France-Info. Trois mois coûtent neuf points. Dix points de PIB valent 230 Md€. À ce niveau, la pente de la courbe de tendance linéaire du PIB reste positive.
L'impact de la crise sanitaire du Covid-19 sur le PIB
Dès le début du confinement, le coût de la crise sanitaire a été évalué à 3 points de PIB par points. Pourtant, les propositions gouvernementales et européennes font pleuvoir les milliards par milliers. Pourquoi payer si cher? Pour produire plus de dettes et gonfler encore plus la bulle financière?

La répartition intelligente des salaires offre un outil pour calculer une grille donnant les salaires de l’année en fonction du PIB de l’année. En suivant les salaires pour les années 2018, 2019 et 2020, la dernière absorbant une baisse de PIB de 10%, il apparaît que:
  • la masse salariale baisse de 152 Md€;
  • le salaire médian reste le même;
  • les pertes de salaires vont de 177,79 € à 728,57 € par rapport à 2019 et de 49,64 € à 203,43€ par rapport à 2018.
Selon la "norme Cotis", en 2020 le PIB devrait investir 394 Md€ et distribuer 297 Md€ en primes (48 Md€) et dividendes (249 Md€). Pour assurer une croissance des investissements de 1%, il faudrait que primes et dividendes baissent de 48 Md€. Pour tenir compte de l’effort fait sur les salaires, les dividendes pourraient fournir cette somme en se fixant à 201 Md€.

À quelle condition un effort peut être accepté par les salariés?

Malgré le coût de la crise sanitaire, primes et dividendes devraient distribuer 297 Md€ en 2020.
  • Si la propriété sur les entreprises reste la même et si les propriétaires gardent leur pouvoir, les actionnaires ont le budget pour abonder ce coût de 230 Md€ (10% PIB 2019) avec 249 Md€ de dividendes. Demander un effort est intolérable.
  • Si les salariés obtiennent la propriété d’usage sur les ressources de l’entreprise qu’ils alimentent et le pouvoir correspondant, alors ils accepteront de contribuer pour leur part (153 Md€ sur 1 535 Md€ au coût de la crise) et que 48 Md€ soient prélevés sur les primes et dividendes (297 Md€) pour maintenir une croissance de 1% aux investissements.
Les entreprises imposent plus de travail et moins de salaire aux salariés. Les conditions pour qu'un effort soit acceptés ne sont pas réunies.

Non seulement les collectifs de travail cèdent 1/3 de la valeur ajoutée qu'ils créent aux sociétés d'actionnaires à chaque exercice, non seulement les citoyens apportent 200 Md€ d'aides sociales (exonérations de cotisations) et fiscales (exonérations et crédits d'impôts, mais l'Etat social a été transformé en simple assureur en dernier ressort depuis la crise des surprimes. La propriété privée sur l'entreprise n'a plus de sens.

La condition de cette acceptation, c’est l’obtention d’un statut juridique de l’entreprise distinct de celui de la société d’actionnaires qui reconnaisse la contribution du collectif de travail aux ressources de l’entreprise.