30 mars 2016

L'ordre de la dette

Pourquoi la dette publique occupe-t-elle une telle place dans les débats économiques contemporains, en France et ailleurs ? Comment s'est-elle imposée comme la contrainte suprême qui justifie toutes les politiques d'austérité budgétaire et qui place les États sous surveillance des agences de notation ?

C'est une longue histoire qui ne se réduit pas à la loi Pompidou-Rothschild de 1973 et ne saurait être effacée par une nouvelle loi. En fait, les trente années qui suivent la seconde guerre mondiale sont une exception et la formation du monde d'aujourd'hui, n'est qu'un retour au fondamental du vingtième siècle, digne continuation du dix-neuvième ou l’État était garant de la libre-entreprise et du développement des infrastructures de marchés.

La dette place les États sous surveillance des agences de notation. Elle apparaît comme une fatalité, une loi d’airain quasi naturelle. Dans son livre, Benjamin Lemoine montre comment l’ordre de la dette a été voulu, construit et organisé par des politiques, des hauts fonctionnaires et des banquiers, de gauche comme de droite.

Benjamin Lemoine, sociologue
Crédits : Sylvain Bourmeau
Radio France
Le vingtième siècle est en fait majoritairement libéral, les trente années qui suivent la fin de la dernière guerre mondiale font figure d’exception.

L’État se finançait par « le circuit du trésor » qui encastrait le crédit dans un réseau politique. Il doit aujourd’hui donner un certain de gages aux acteurs de la finance. Les agences de notation privées le mesurent, mesurent sa capacité à rembourser la dette. L’État devient un acteur économique comme les autres.

L’administration du Trésor exerce un rôle d’expertise qui élimine la différence droite-gauche et enferme à la politique dans la pratique de l’orthodoxie libérale. C’est le principal acteur de l’enfermement de la démocratie dans les contraintes budgétaires et la règle d’or.

L’État s’est mis au service d’une souveraineté différente de celle de l’après-guerre. La souveraineté des trente glorieuses visait l’indépendance, la volonté démocratique, le modèle social européen – la déclaration de Philadelphie. Aujourd’hui, la souveraineté vise le développement des marchés, de la libre initiative privée et de la libre banque – une forme libérale du pouvoir.

La coopération entre États s’est aussi effritée sur ces grandes questions économiques et monétaires et a été remplacée par des mécanismes de marché.

Il est difficile de libérer l’État des marchés. Le débat public est la première étape pour réintroduire de la pluralité dans la politique d’aujourd’hui. Si l’État ne fait pas défaut à sa dette financière, il n’honore pas sa dette sociale; voilà le moteur d'une réforme soutenable.