21 sept. 2015

Lettre ouverte d’un salarié aux employeurs

Au soir de ma carrière, je souhaite m’exprimer sur les évolutions de l’environnement du travail qui répondent, pour la plupart, aux exigences du Medef sensées être les vôtres, puisque l’officine patronale prétend vous représenter.

Le compromis social sur lequel s’est construit l’environnement dans lequel le travail s’exerçait lorsque j’ai commencé à travailler avait trente ans d’ancienneté. Ce compromis était construit sur l’échange suivant: les employeurs font ce qu’ils veulent de leur entreprise, mais elles garantissent la stabilité et la qualité de l’emploi.

Une quarantaine d’années plus tard, un salarié sur cinq ne bénéficient pas d’un travail sable et de qualité, quatre recrutements sur cinq ne proposent ni stabilité, ni qualité de travail.

La rupture touche non seulement le statut du travail, mais aussi ses conditions d’exercice: les règles de métier deviennent secondaires, la contribution aux objectifs de l’employeur premiers. Si les objectifs ignorent les règles de métier ou si les temps sociaux ne sont pas respectés, l’équilibre psychosocial du salarié est mis en risque y compris avec le meilleur des statuts de travail.

Vous exigez de plus en plus un engagement du niveau de celui qu’on peut demander à un associé. Mais le bénéfice des exercices n’alimente pas un bien commun – l’entreprise imaginée – exclusivement la SA (société des associés ou des actionnaires) qui en fait ce qu’il veut.

Or le travail est autant créateur de valeur que le capital ; un billet de 100€ n’en vaudra plus que 80 quelques années plus tard sans travail. Cette contribution du travail n’est pas divisible entre les salariés, c’est celle du collectif de travail (CT). Le bénéfice doit alimenter les réserves en capitaux propres qui ne doivent pas appartenir entièrement à la SA, mais à un bien commun à la SA et au CT.

"Entreprise" est un mot qui recouvre une réalité dans l’esprit des salariés, instrumentalisée par le Medef pour obtenir l’engagement des salariés et les aides de l’État. Elle n’a aucune réalité juridique. Du point de vue juridique, c’est la SA. En fait, le Medef c’est le MDSAF (mouvement des SA de France) en réalité.

Cette réalité empêche toute adhésion à un compromis social construit sur l’engagement. Les salariés connaissent une situation intenable parce qu’ils ne parviennent pas à maintenir le rapport de forces susceptible de rendre soutenable la situation de subordination dans laquelle ils sont.

Cette réalité prive aussi la plupart des employeurs d’un financement qui leurs permette de mener correctement leur projet, l’entreprise qu’ils ont construite pouvant être rachetée et dépecée sans ménagement. Les réserves mises aux capitaux propres et le bénéfice constituent des biens communs et doivent être en ressources propres de l’entreprise.

L’entreprise doit être juridiquement constituée avec :
  • des ressources bien qualifiées* qui définissent le poids de la SA dans l’entreprise** ;
  • un directoire*** formé d’une représentation de la SA (obligatoirement actionnaires) et une représentation du CT ;
  • des institutions représentatives du personnel (IRP) : comité des activités économiques, comité des activités sociales, délégués du personnel, comité hygiène santé et conditions de travail et des délégués syndicaux pour chaque périmètre DP.
Je connais beaucoup d’employeurs si attachés à leur projet industriel qu’ils n’ont aucun mal à obtenir l’engagement de leur collectif de travail. Les problèmes arrivent quand ils doivent mobiliser des capitaux extérieurs qui leur imposent des objectifs intenables.

La proposition de statut de l’entreprise présentée dans cette lettre produit des ressources propres internes à l’entreprise qui diminuent le coût du capital – le cash produit appartient à l’entreprise – et sécurise le travail. Elle ne touche pas à la propriété de la SA sur les capitaux propres et étend celle-ci sur les ressources propres en copropriété avec le CT.

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* Les ressources de l’entreprise définissent le poids de la SA dans l’entreprise :
- les capitaux propres à la SA (CP) – capitaux initiaux, primes et réserves SA ;
- les ressources propres de l’entreprise (RP) – réserves non exclusivement SA ;
- les dettes financières (DF).
** Le poids de la SA dans l’entreprise est K = CP / (CP + RP + DF).
*** Représentations à un directoire de N membres
- société anonyme (SA) : K x N + 1
- collectif de travail (CT) : (1-K) x N